Le choc de l’enfermement
Une nouvelle publication du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) est toujours un événement important pour les défenseurs des droits de l’Homme.
Le CGLPL vient de faire paraître aux éditions Dalloz un nouveau rapport thématique intitulé « l’arrivée dans les lieux de privation de liberté ». Ce rapport évoque le « choc de l’enfermement » que peut vivre toute personne privée de sa liberté.
Voici un extrait du dossier de presse publié à cette occasion : « Perte d’autonomie et d’intimité, réduction de l’espace, séjour dans des locaux possiblement vétustes ou délabrés, dépossession des effets personnels, rupture des liens avec les proches, incertitudes sur la durée et l’issue de l’enfermement, suroccupation, manque d’informations, etc., sont autant de facteurs du « choc de l’enfermement », générant de la peur, du stress, de l’agressivité et parfois des violences »
Nous nous permettons ici d’ajouter que ce « choc de l’enfermement » peut être d’autant plus traumatisant pour des patients psychiatriques que ces personnes sont par définition vulnérables et fragiles et qu’elles ne sont coupables d’aucun crime ni délit.
Le rapport évoque notamment 2 problématiques liées aux services d’urgence des hôpitaux généraux : celle des soins sans consentement et celle de l’isolement et de la contention :
« L’admission en soins sans consentement dans un établissement de santé mentale passe majoritairement par les services d’urgence des hôpitaux généraux. Confrontés à un flux d’autant plus difficile à absorber que la présence psychiatrique se clairseme, ces services sont conduits à privilégier la rapidité du « transit » sur le respect de la dignité et des droits des patients. La demande d’admission en soins sans consentement est trop souvent vue comme la solution la plus efficace pour hospitaliser un patient agité dont la gestion par un service d’urgence n’est pas adaptée. Or, si les moyens matériels et humains avaient été pris afin de gérer la crise, ces personnes auraient pu consentir à une admission en soins libres ou à des soins en ambulatoire. (…)
Une autre préoccupation majeure, liée au passage préalable par les urgences générales, concerne les pratiques d’isolement et de contention. Il arrive que des patients restent trop longtemps aux urgences où, par précaution ou à défaut d’équipement adapté, ils sont placés sous contention. Des mesures parfois décidées par des urgentistes et sans validation ultérieure d’un psychiatre. D’autre part, l’isolement et la contention ne sont, dans la majorité des services d’urgence, pas tracés. Enfin, ces mesures sont souvent mises en œuvre dans des locaux non adaptés à des patients en crise et pour des durées ne se limitant pas à cette crise. Toute décision d’isolement ou de contention doit être validée par un psychiatre dans le délai d’une heure, après une rencontre avec le patient. Elle doit être tracée dans le dossier médical et sur un registre spécifique »
Figurent également quelques chiffres et exemples concernant l’usage abusif des procédures d’admission en urgence ou en cas de péril imminent, procédures pourtant censées être exceptionnelles car offrant moins de garanties aux patients.
Les 56 recommandations qui terminent l’ouvrage sont toutes basées sur des irrégularités constatées lors des visites de contrôle d’établissements.
En voici quelques-unes qui s’appliquent ou devraient s’appliquer spécialement aux hôpitaux psychiatriques et que la CCDH soutient particulièrement :
RECOMMANDATION 5 : « La filière des urgences psychiatriques doit permettre une prise en charge en hospitalisation spécialisée de courte durée, de 48 à 72 heures, en coordination avec les urgences générales et leur plateau technique, où les patients doivent pouvoir bénéficier d’un examen somatique complet ».
RECOMMANDATION 6 : « Les services d’urgences doivent disposer d’un espace d’apaisement spécifique aux patients agités. Toute décision d’isolement ou de contention doit y être précédée d’un examen du patient par un médecin généraliste ou par un urgentiste et doit, lorsqu’elle est prise par ces derniers, être validée par un psychiatre dans le délai d’une heure, après une rencontre avec le patient. Elle doit être tracée dans le dossier médical du patient et sur un registre spécifique »
RECOMMANDATION 11 : « Des directives nationales doivent être adoptées afin de mettre un terme sans délai à la mise sous contention systématique des personnes détenues admises en soins psychiatriques sans consentement pendant leur transport ».
RECOMMANDATION 14 : « Les mesures restreignant la liberté des patients lors de leur admission en établissement de santé mentale doivent être individualisées et non systématiques, de jour comme de nuit »
RECOMMANDATION 15 : « Les décisions d’admission en soins sans consentement doivent être signées dès le début de l’hospitalisation, y compris durant les week-ends et jours fériés. La date de leur signature doit correspondre à la réalité ».
RECOMMANDATION 16 : « Les délégations de signature pour les décisions d’admission en soins sans consentement prises au nom du directeur de l’hôpital doivent être réservées aux personnes en mesure d’exercer un contrôle effectif des propositions faites par les médecins ».
RECOMMANDATION 19 : « Dès le début de la mesure, les personnes privées de liberté doivent disposer d’une information complète, actualisée et compréhensible sur leur statut, leurs droits et les règles de fonctionnement ou de vie des lieux dans lesquels elles sont enfermées ».
RECOMMANDATION 22 : « Les patients faisant l’objet d’une décision de soins sans consentement doivent être informés de cette décision, qui doit leur être formellement notifiée, une copie leur étant laissée. Doivent de même leur être communiqués les certificats fondant la décision lorsque leur texte n’est pas repris dans le corps de celle-ci ainsi que, le cas échéant, le nom du tiers ayant demandé l’admission. Les droits afférents à leur mode d’admission doivent leur être notifiés et explicités, selon un document-type établi par le ministère de la santé remis aux patients et expliquant, en termes simples, les différents types d’hospitalisations sous contrainte et les voies de recours offertes, à charge pour chaque établissement de le compléter pour l’adapter aux spécificités locales ».
RECOMMANDATION 26 : « Les documents écrits d’information transmis aux personnes privées de liberté doivent faire l’objet d’une explication orale, dans des termes facilement compréhensibles, au cours des premiers entretiens d’accueil ».
RECOMMANDATION 28 : « Tout professionnel, y compris de santé, amené à participer à l’accueil et à la prise en charge de personnes privées de liberté doit recevoir une formation sur le statut et les droits de ces personnes ».
RECOMMANDATION 30 : « Le droit pour toute personne de prévenir ou faire prévenir la ou les personnes de son choix doit être assuré quels que soient le jour et l’heure de son arrivée. À cette fin, les arrivants doivent pouvoir accéder aux données conservées dans leur téléphone portable, si besoin après en avoir rechargé la batterie ».
RECOMMANDATION 31 : « Les patients admis en soins sans consentement doivent être informés systématiquement, dès leur arrivée, de leur droit de demander la confidentialité de leur hospitalisation. Celle-ci doit relever d’une procédure formalisée permettant de garantir une confidentialité effective et immédiate aux patients qui en font la demande ».
RECOMMANDATION 32 : « La personne privée de liberté doit pouvoir désigner, dès le début de la mesure, une personne à prévenir en cas d’urgence, ainsi qu’une personne de confiance susceptible de l’assister et la conseiller dans ses démarches et sa prise en charge. La personne de confiance doit être consultée par l’administration dès lors que la personne privée de liberté est dans l’impossibilité de faire valoir son avis. Cette personne doit être informée de sa désignation et l’accepter ».
RECOMMANDATION 38 : « Le retrait de biens personnels des patients admis en soins sans consentement ne doit pas procéder de règles systématiques mais répondre à des motivations cliniques décidées individuellement, avec une réévaluation régulière. L’imposition systématique du port du pyjama doit être prohibée ».
RECOMMANDATION 47 : « Les patients en soins sans consentement admis en hospitalisation sans avoir été préalablement examinés par un urgentiste doivent bénéficier d’un examen somatique complet. Il convient pour plus de clarté de modifier l’article L. 3211-2-2 du code de la santé publique, dont la rédaction est aujourd’hui ambiguë, afin de préciser que cet examen doit être effectué par un médecin généraliste ».
RECOMMANDATION 55 : « Aucun patient en soins libres ne doit être enfermé. Le statut d’admission d’un patient en soins sans consentement n’implique pas qu’il soit nécessairement placé en unité fermée. Le séjour d’un patient en soins sans consentement ne peut se faire que dans une chambre hôtelière, y compris s’il est amené à séjourner le temps nécessaire à la résolution de la crise dans un espace dédié, comme une chambre d’isolement ; le patient doit être en mesure à tout moment de réintégrer sa propre chambre d’hospitalisation ».
RECOMMANDATION 56 : « Les patients détenus admis en soins sans consentement ne doivent pas être placés en chambre d’isolement de façon systématique et non justifiée autrement que par leur état clinique ».
Dossier de presse du rapport : 2021_Rapport-Larrivée-dans-les-lieux-de-privation-de-liberté_Dossier-de-presse.pdf (cglpl.fr)
Lire le rapport dans son intégralité : arriveeLPL.pdf (cglpl.fr)