Le lancement des psychotropes
La première guerre mondiale faisait rage quand Kraepelin établit en Allemagne un centre de recherche psychiatrique “afin de déterminer la nature des maladies mentales et de découvrir des techniques pour les prévenir, les soulager et les guérir.”
Le livre “Freud et les américains” évoque les espoirs de la psychiatrie au début du 20ème siècle : “Les magazines évoquaient avec empressement toute nouvelle médicale porteuse d’espoir : la spéculation selon laquelle une toxine pourrait provoquer la folie et une antitoxine la guérir, que la folie n’était pas une maladie mais une inaptitude à s’adapter à l’environnement. Quelques médecins préconisaient d’abandonner les vieux termes “chronique et incurable”. La psychiatrie, insistaient-ils, malgré un manque d’amélioration des taux de guérison, se trouvait au seuil de l’âge d’or.”
Cependant, en 1916, Sheperd Ivory Franz, un scientifique américain, écrivit : “Nous ne disposons d’aucun fait qui nous permette de mieux localiser aujourd’hui qu’il y a 50 ans les processus mentaux dans le cerveau“.
Donc, après 100 ans, la psychiatrie n’avait pas progressé d’un iota dans la compréhension et la guérison de la folie.
Au début du 20 ème siècle, la psychanalyse devint la nouvelle tendance de la psychiatrie. Les années 30 et 40 furent le théâtre d’un virage en direction des “traitements physiques”. Ces traitements permirent aux psychiatres de concurrencer plus efficacement les neurologues, qui traitaient souvent les patients atteints “de troubles nerveux”. Entre 1928 et 1938, les psychiatres ont instauré des horreurs comme le choc au Metrozol, le choc insulinique, l’électrochoc et la psychochirurgie.
Les années 50 et 60 virent le lancement des psychotropes. Ceux-ci visaient à soulager une partie des symptômes de la maladie mentale. Ces produits facilitaient donc la tâche de ceux qui devaient veiller sur les patients. Dans le même temps, la psychiatrie introduisit un système de diagnostic des troubles mentaux. Shorter appelle cette période “la seconde psychiatrie biologique”. Selon celle-ci, “la génétique et le développement du cerveau” provoquaient la maladie mentale. Les drogues psychoactives et la psychothérapie informelle en étaient les remèdes.
Durant les trentes années suivantes, la thérapie psychiatrique en vint bien vite à s’appuyer sur les drogues psychoactives. L’industrie psychiatrique, forte de ses propres drogues et modes de diagnostics, pouvait prendre son envol.
En 1989, une brochure de l’Association américaine de psychiatrie disait à ses membres : “Une amélioration de l’image de la psychiatrie parmi les médecins non psychiatres ne peut être que profitable. Et pour ceux qui se préoccupent des résultats financiers, les efforts que vous consacrez à bâtir cette image peuvent vous rapporter des dividendes par le biais d’un nombre accru de patients qui vous seront adressés.”
L’organisation mondiale de la santé a conçu une brochure d’information intitulée “Troubles mentaux dans les soins primaires”. Distribuée dans le monde entier, elle est censée faciliter aux médecins généralistes le diagnostic des maladies mentales. De toute évidence, un emploi grandissant du marketing comblait les lacunes traditionnelles de la psychiatrie dans le domaine scientifique.
“La psychiatrie représente un secteur de croissance pour l’industrie pharmaceutique. En influençant la façon dont les psychiatres conçoivent les problèmes de santé mentale, l’industrie pharmaceutique a développé de nouveaux et juteux marchés pour ses produits”. Carl Eliott, biotechnicien à l’université du Minnesotta. “Pour vendre des médicaments, il faut vendre des maladies psychiatriques”.