Les origines de la psychiatrie
En réalité, les hôpitaux généraux français n’étaient que des institutions privatives de liberté. Aucune thérapie n’y avait cours. En revanche, les horribles conditions qui y régnaient faisaient leur réputation. On y flagellait les détenus enchaînés, lesquels vivaient dans une absence totale d’hygiène. C’est dans ces asiles que le gardien d’institution développa son expertise. Il est le prédécesseur direct du psychiatre institutionnel. L’expression anglaise “snake pit” (fosse aux serpents) – expression d’argot pour hôpital psychiatrique – remonte à cette époque. On jetait alors les fous dans une fosse grouillante de serpents. Ce choc était censé les ramener à la raison.
Travailler dans les asiles n’était pas des plus valorisant. Néanmoins, les “psychiatres” d’antan formulaient des “revendications légitimes quant au statut de discipline médicale”. En effet, selon eux, “diriger un asile d’une façon thérapeutique constituait un art et une science aussi complexes que la chimie ou l’anatomie”. La psychiatrie s’est résolument cramponnée à cette revendication pendant 100 ans, malgré les preuves accablantes du contraire. On acceptait donc la psychiatrie comme étant nécessaire.
Mais la médecine s’en méfiait et s’assura qu’on la confine “dans une situation marginale” relatent Alexander et Selesnick dans leur ouvrage sur l’histoire de la psychiatrie. La psychiatrie subissait donc la ségrégation de ses confrères médecins. Alors que la médecine avançait à vive allure sur sa voie sûre et scientifique vers des découvertes majeures, les psychiatres développaient leurs propres idées indépendantes du modèle scientifique. “Une nouvelle génération de médecins d’asiles grandit, pleine de confiance dans son aptitude à soigner” selon Edward Shoter dans son ouvrage Histoire de la psychiatrie.
On doit le mot psychiatrie – signifiant étude de l’âme – à Johann Reil. En 1803, avant d’avoir inventé ce terme, il parlait des premiers gardiens comme suit : “ils se portaient immédiatement volontaires pour améliorer le sort des fous.” Il y faisait référence en évoquant “une race d’hommes courageux” prêts à s’attaquer à “cette gigantesque idée” de “débarrasser la surface de la terre d’un des fléaux les plus dévastateurs”. Autrement dit, les pionniers de la psychiatrie pensaient pouvoir éliminer la folie.
Reil fut le premier à affirmer que les méthodes de traitement psychiques relevaient des méthodes médicales et chirurgicales. Ses “traitements psychiques” consistaient en massages, corrections, flagellations et opium. Parmi ses “cures” figuraient la “chaise de Darwin”. On y faisait tourner les malades mentaux jusqu’à ce que du sang suinte de leur bouche, oreilles et nez. Se pratiquaient aussi les cures de castration et de privation de nourriture.
En 1911, Theodric Romeyn Beck auteur de la Dissertation inaugurale sur la folie, décrivait le traitement moral en ces mots : “Convainquez les lunatiques de l’autorité absolue du médecin…” et “s’ils font preuve d’indiscipline, interdisez-leur la compagnie des autres, utilisez la camisole de force et isolez-les dans une pièce sombre et tranquille”.
En 1918, Edwin Kraepelin, pionnier de la psychiatrie, définissait un psychiatre ainsi : “un chef absolu, qui guidé par nos connaissances actuelles, pourra intervenir sans pitié dans les conditions de vie des gens et obtiendra sûrement en quelques décennies, une baisse correspondante de la folie.”