La Rapporteuse spéciale sur les droits des personnes handicapées, Catalina Devandas-Aguilar, a effectué une visite en France du 3 au 13 octobre 2017
Dans son rapport sur cette visite publié en 2019, la Rapporteuse spéciale examine les questions liées aux droits des personnes handicapées en France métropolitaine à la lumière des normes et règles internationales relatives aux droits de l’homme :
La Rapporteuse spéciale a relevé que, dans les processus d’élaboration de politiques ou de prise de décisions d’ordre général ou portant spécifiquement sur le handicap, les personnes handicapées n’avaient généralement pas voix au chapitre et leurs opinions n’étaient pas prises en compte, cela parce qu’elles n’y étaient pas encore représentées à égalité. La Rapporteuse spéciale a encouragé le Gouvernement, comme le prévoit l’article 29 de la Convention, à promouvoir et soutenir la création d’organisations de personnes handicapées, quel que soit le type de handicap, y compris de personnes présentant un handicap intellectuel, un trouble du développement, un handicap psychosocial et des handicaps multiples, que les organisations existantes ne représentent pas assez à l’heure actuelle.
Stérilisation forcée des « malades psychiatriques »
Le Code de la santé publique réglemente l’accès à la santé et inscrit le handicap parmi les motifs de discrimination interdits. La Rapporteuse spéciale constate avec préoccupation que l’article L2123-2 de ce code prévoit la possibilité, dans certaines situations, de stériliser sans leur consentement les personnes qui présentent un handicap psychosocial, et autorise les juges, les membres de la famille ou les représentant légaux de ces personnes à consentir à des interventions en leur nom. Les instruments relatifs aux droits de l’homme, les organes et les entités des Nations Unies ont établi que la stérilisation forcée des personnes handicapées constituait une discrimination et une forme de violence, de torture et de traitement cruel, inhumain ou dégradant (voir A/72/133, par. 30).
Maltraitance des autistes
S’agissant des personnes autistes, la Rapporteuse spéciale s’inquiète du manque, voire de l’absence totale, d’informations relatives à l’autisme en France, ce qui complique considérablement le travail de conception et d’élaboration de mesures adaptées aux besoins des intéressés et axées sur leurs droits. Bien que quatre plans autisme aient été successivement adoptés,
les thérapies offertes aux enfants autistes demeurent inadaptées et la surmédication à laquelle ils sont soumis demeure un problème, tout comme le placement dans des hôpitaux et des institutions psychiatriques,
y compris en Belgique.
En outre, la pratique dite du « packing » (enveloppement), méthode consistant à emballer les enfants autistes et les adultes psychotiques dans des draps extrêmement froids et humides à des fins expérimentales, est encore répandue.
Les professionnels formés aux thérapies et aux programmes de développement et d’éducation reconnus au niveau international sont rares, et leurs prestations ne sont pas remboursées par l’assurance maladie.
Déni de la capacité juridique
En France, un très grand nombre de personnes handicapées ont été privées de leur capacité juridique ou bénéficient d’une capacité juridique limitée. Des renseignements communiqués par le Ministère de la justice révèlent qu’en 2015, pas moins de 385 000 personnes handicapées étaient placées sous tutelle et 360 000 sous curatelle.
Les personnes sous tutelle ne sont plus habilitées à exercer leurs droits et ne peuvent accomplir d’actes civils sans être représentées par leur tuteur.
Les personnes sous curatelle restent quant à elles habilitées à exercer la plupart de leurs droits mais doivent bénéficier de l’assistance ou de l’autorisation d’une tierce personne pour accomplir certains actes civils.
La Rapporteuse spéciale a appris que l’on plaçait systématiquement les personnes handicapées, en particulier les personnes autistes et les personnes qui présentent un handicap intellectuel et psychosocial, sous l’un ou l’autre de ces régimes, notamment pour faciliter les procédures d’octroi de prestations sociales ou de placement en institution.
La reconnaissance de la capacité juridique des personnes handicapées dans des conditions d’égalité est une obligation fondamentale imposée par l’article 12 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, qui porte tout autant sur l’aptitude à être titulaire de droits que sur la faculté d’agir conformément aux dispositions de la loi.
En réalité, loin d’être protégées, les personnes sous tutelle en France sont privées de leurs droits et exposées à la maltraitance et au risque d’être placées en institution.
La France doit revoir d’urgence sa législation en vue de supprimer les régimes de prise de décisions substitutive et de garantir l’accès de toutes les personnes handicapées à des systèmes de prise de décisions accompagnée, quel que soit le niveau d’aide dont ces personnes pourraient avoir besoin pour prendre des décisions éclairées.
Privation de liberté et traitement sans consentement
Le Code de la santé publique autorise l’hospitalisation et le traitement sans consentement des personnes ayant un handicap psychosocial. Modifié par la loi no 2011-803 du 5 juillet 2011, il régit les conditions et les modalités de prise en charge des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques sans consentement, prise en charge qui peut prendre la forme de soins ambulatoires ou d’une hospitalisation complète ou partielle, à la demande d’un tiers ou d’un représentant de l’État. Ce code a également été modifié par la loi no 2013-869 du 27 septembre 2013, qui fait obligation au juge de réexaminer toute décision d’hospitalisation complète avant l’expiration d’un délai de douze jours à compter de l’admission. Quant à la loi no 2016-41 du 26 janvier 2016, elle réglemente et restreint plus avant la pratique de l’isolement et de la contention et en fait une solution de dernier recours, qui doit être consignée dans un registre chaque fois qu’elle est mise en oeuvre (voir art. L.3222-5-1).
Les réformes législatives susmentionnées sont insuffisantes et
la situation des personnes avec un handicap psychosocial demeure préoccupante. Au cours de sa visite, la Rapporteuse spéciale a appris que nombre de ces personnes se voyaient prodiguer des soins psychiatriques sans y consentir, et ce, pendant de longues périodes. Les possibilités qu’elles avaient de contester leur hospitalisation étaient limitées, car les juges des libertés et de la détention se fondaient largement sur les évaluations des médecins.
En outre, ces personnes craignaient d’assister aux audiences auprès des juges, faute d’informations quant au but d’une telle démarche et ignorant qu’il était dans leur intérêt d’être présentes.
De ce fait, et faute de soutien, de solutions de substitution à l’isolement et à la contention en situation de crise et de services de proximité, les personnes handicapées étaient nombreuses à faire des séjours prolongés en hôpital psychiatrique, et certaines étaient ensuite transférées dans des établissements où elles demeuraient le restant de leurs jours.
La Rapporteuse spéciale a été informée de graves allégations de maltraitance et de traitements dégradants envers des personnes handicapées soumises à des soins psychiatriques contre leur gré.
La mise à l’isolement et le recours à la contention, la méthode du « packing » employée pour traiter les personnes autistes et l’électroconvulsivothérapie sont autant de pratiques qui lui ont été signalées.
Elle a également eu connaissance de cas de violence psychologique et sexuelle et de situations dans lesquelles des membres du personnel médical menaçaient les patients de les faire hospitaliser sans leur consentement.
Des personnes suivant un traitement psychiatrique ambulatoire ont par exemple signalé qu’on leur imposait des couvre-feux et que l’on restreignait leur liberté de mouvement, en brandissant la menace d’une hospitalisation forcée.
Il convient d’ailleurs de noter que les traitements ambulatoires sans consentement ne sont pas soumis au contrôle judiciaire. En mars 2018, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté a averti la population de la situation alarmante qui prévalait au service psychiatrique du Centre hospitalier universitaire de Saint-Etienne (Loire) et des traitements inhumains qu’y subissaient les patients, et qui se caractérisaient notamment par un recours généralisé à l’isolement et à la contention.
Dans ce contexte, la Rapporteuse spéciale prie la France de revoir son cadre juridique se rapportant aux soins psychiatriques sans consentement, pour que tous les soins de santé soient prodigués sur la base du consentement libre et éclairé.
Elle souhaite en savoir davantage sur le nouveau plan d’action destiné à réduire le recours aux soins psychiatriques sans consentement présenté par le Ministère des solidarités et de la santé en juin 2018, qui prévoit la création d’un observatoire des droits des patients en psychiatrie et santé mentale. Elle espère que le Gouvernement mettra ce plan en application et l’assortira d’un échéancier de sorte à éradiquer, à bref délai, l’ensemble des pratiques coercitives utilisées dans les services de psychiatrie.
La Rapporteuse spéciale recommande au Gouvernement français :
- De prendre des mesures immédiates pour mettre un terme au placement des personnes qui ont des handicaps intellectuels et psychosociaux et des personnes autistes en hôpital ou en unité psychiatriques et pour mettre fin au traitement sans consentement et à la stérilisation forcés de ces personnes
- De revoir le cadre juridique se rapportant aux soins psychiatriques sans consentement, de sorte que tous les soins de santé soient prodigués sur la base du consentement libre et éclairé, notamment d’autoriser l’octroi de soins intensifs à domicile sans entraves.
SOURCE :
https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G19/002/70/PDF/G1900270.pdf?OpenElement