Les projets de créations de nouvelles Unités de Soins Intensifs Psychiatriques (USIP) inquiètent la Commission des Citoyens pour les Droits de l’Homme (CCDH-France)
Selon le Contrôleur général des lieux de privation de libertés (CGLPL), dans son rapport d’activité 2021 (https://www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2022/06/CGLPL-Rapport-annuel-2021_web.pdf ) :
- « Ainsi, le développement des unités de soins intensifs en psychiatrie (USIP), non encadrées par le droit, et la contention chimique sont des contraintes sévères et souvent durables. »
- « Une loi […], en particulier du statut des USIP et du contrôle des placements en unité pour malades difficiles (UMD) est nécessaire»
Alors que les Comité des droits de l’homme et Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU demandent la mise en œuvre de leurs recommandations en faveur de la dignité et du respect des droits fondamentaux en psychiatrie, la France prend un autre tournant : celui de créer de nouvelles unités d’enfermement psychiatrique, les USIP.
Selon plusieurs associations de défense des patients et de leurs familles, comme l’UNAFAM (Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques) ou la FNAPSY (Fédération Nationale des Patients en Psychiatrie), la généralisation des USIP va à l’encontre des recommandations de bonnes pratiques de la Haute autorité de santé et ne pourra qu’aggraver la dégradation de la qualité et de la sécurité des soins.
Les principaux représentants de la psychiatrie publique, dont l’UNAFAM et la FNAPSY avaient d’ailleurs réclamé en juillet 2022 un moratoire sur la mise en place d’unités de soins intensifs. Ils avaient demandé au ministère de lancer urgemment une mission dédiée à ces unités, associant les représentants des patients et des familles.
Ils exprimaient notamment « leur ferme opposition à la mise en place de toute structure de soins de ce type n’ayant pas de statut validé nationalement »
Il n’existe à l’heure actuelle aucun cadre légal pour ces USIP.
Selon eux, la généralisation de ces unités stigmatise les patients réduits à un symptôme, entraine un éloignement des proches, un risque d’atteinte à la dignité et aux droits, un recours systématique à l’enfermement, à la contention et l’isolement.
La CCDH alerte le Ministère de la Santé, et plus particulièrement la commission nationale de la psychiatrie (CNP) afin que des textes règlementaires soient publiés en faveur du respect de la dignité et des droits fondamentaux des patients. Toute USIP doit être contrainte de respecter les recommandations des Comité des droits de l’homme et Comité des droits des personnes handicapées de l’ONU, étant rappelé que la France a ratifié la Convention relative aux droits des personnes handicapées et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
ANNEXE – extraits relatifs aux USIP publiés dans les rapports de visite du CGLPL :
Selon le CGLPL :
A titre d’exemple, voici les extraits relatifs aux USIP publiés dans les rapports de visite du CGLPL dans les CHU de Nîmes et l’EPSM de l’Aisne
Concernant le CHU de Nîmes (suite à la visite du CGLPL effectuée du 1er au 9 avril 2021) https://www.cglpl.fr/2022/rapport-de-visite-du-centre-hospitalier-universitaire-de-nimes-gard/ :
« Le parcours des patients en soins sans consentement passe par des phases particulièrement attentatoires à leur dignité et au respect de leurs droits. La politique du pôle impose systématiquement à ces patients un séjour d’une durée variable dans l’unité de soins intensifs en psychiatrie (USIP) au début de leur hospitalisation. L’USIP est une unité fermée, fermeture instituée au motif que n’y séjournent que des patients admis en soins sans consentement ce qui constitue une méprise sur l’effet juridique de ce mode d’admission. Le motif est, au demeurant, d’autant moins pertinent que ces patients peuvent par la suite être transférés dans une unité ouverte, sans que leur statut d’admission soit toujours modifié. La liberté d’aller et venir y est totalement méconnue. Une aile comporte sept chambres aménagées comme des chambres d’isolement, à ceci près que chacune ne comporte qu’un seul accès, dépourvues de tout meuble. Cette aile servait lors de la visite pour « confiner » les patients entrants, privés de leurs vêtements et effets personnels, aussi longtemps qu’ils pouvaient être contagieux à la Covid-19 ; en pratique, ils sont alors enfermés dans leur chambre sans que cet enfermement réunisse les conditions prévues pour une mesure d’isolement par l’article L.3222-5-1 du code de la santé publique.
Par ailleurs, le régime de fonctionnement de cette unité est quasi carcéral. Les règles de vie restrictives, sans corrélation avec la clinique, contredisent toute individualisation des prises en charge : retrait des ceintures et lacets, obligeant certains patients à revêtir le pyjama institutionnel faute de pouvoir retenir leur pantalon, du tabac – avec consommation limitée et horodatée –, retrait des téléphones personnels, accès interdit aux espaces collectifs notamment à la cour grillagée et surplombée d’un filet métallique pour empêcher les fugues. La justification thérapeutique des restrictions est difficilement crédible dès lors que ces contraintes sont imposées à tous les patients. Les visiteurs des patients doivent laisser leurs effets dans un casier puis passer sous un portique de détection des métaux avant de pouvoir entrer dans l’unité, pratique non seulement attentatoire à la dignité des visiteurs mais également illégale.
L’isolement et la contention sont pratiqués à grande échelle à l’USIP et à l’unité pour adolescent, et aucune démarche institutionnelle n’est engagée au niveau du pôle de psychiatrie pour limiter ces pratiques de dernier recours, alors que les initiatives de réduction dans les autres unités portent leurs fruits et pourraient être source d’inspiration pour le pôle tout entier. »
Concernant l’Etablissement public de santé mentale de l’Aisne (suite à la visite du CGLPL effectuée du 8 au 15 janvier 2021) https://www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2021/12/Rapport-de-la-deuxi%C3%A8me-visite-de-l%C3%A9tablissement-public-de-sant%C3%A9-mentale-de-lAisne-%C3%A0-Pr%C3%A9montr%C3%A9-Aisne.pdf :
« La prise en charge est néanmoins entachée de procédés illégaux et non respectueux des droits des patients. Tout d’abord, la pratique des injections de traitements « si besoin » sans recherche du consentement du patient est quasi généralisée. Par ailleurs, les pratiques d’isolement et de contention sont, surtout à l’USIP, abusives ou d’habitude. En outre, de nombreux patients en soins libres sont placés en isolement sans que la mesure ne soient régularisée lors des prolongements.
L’USIP surtout requiert une redéfinition de son projet de service établissant la mission poursuivie, les profils de patients attendus et les modalités concrètes de l’organisation des soins. La prise en charge des personnes détenues en lieu et place de l’UHSA, pose question
L’unité est strictement fermée et il faut franchir trois portes pour arriver dans le lieu de vie des patients. A leur arrivée, les patients rencontrent un psychiatre dans un délai court et sont fréquemment mais pas systématiquement placés sur décision médicale en chambre d’isolement pour une période « d’observation » pouvant aller jusqu’à soixante-douze heures selon les déclarations faites aux contrôleurs, mais des durées supérieures jusqu’à cent heures ont pu être identifiées dans le registre des isolements et contentions (cf. § 8.3). L’équipe soignante précise que cet isolement peut être séquentiel en journée. A la sortie de la chambre d’isolement, tous les patients détenus ainsi que ceux considérés comme dangereux (auteurs d’infractions à caractère sexuel) sont hébergés dans l’une des quatre chambres sécurisées de l’étage. Ils font l’objet tous les soirs d’une décision médicale d’isolement de 20h à 8h et la porte de leur chambre sécurisée est fermée à clé. Les contrôleurs ont acquis la certitude que ces décisions médicales étaient reconduites de soir en soir sans examen systématique du patient.
Recommandation 16 :
L’enfermement d’un patient dans une chambre doit répondre aux lois et règles en vigueur relatives aux mesures d’isolement.
Néanmoins, l’absence d’un projet médico-soignant récent et construit par l’équipe actuelle brouille le sens donné à la mission initiale de l’USIP et laisse la place à une logique sécuritaire. L’USIP doit élaborer un projet médico-soignant et des règles de vie dans lesquels les restrictions aux libertés individuelles doivent répondre au principe de proportionnalité au regard de la situation clinique de chaque patient (cf. § 7.2).
A l’USIP, quatre chambres sécurisées sont installées à l’étage des chambres ordinaires, il y en avait neuf jusqu’à quelques mois avant la visite du CGLPL. Elles sont équipées comme des chambres ordinaires, mais sans mobilier autre que le lit, avec une fenêtre non ouvrable et la porte sécurisée pouvant être fermée à clé.
Recommandation 19 :
L’isolement dans la chambre du patient doit être évité. »