Témoignage d’un éducateur surmené, victime d’un internement abusif
Tout d’abord il me paraît important de me présenter, afin de bien saisir l’absurdité de l’expérience que j’ai hélas vécu.
Je suis un trentenaire sans histoire pratiquant le métier d’éducateur depuis de nombreuses années, spécialisé dans le secteur du handicap mental.
Il m’est arrivé une mésaventure incroyable en février 2019, le 21 pour être précis.
Après avoir occupé un poste d’éducateur auprès d’enfants autistes non verbaux et violents durant onze années, j’ai mis fin à ce poste car les derniers mois ont été complexes. J”étais amené à gérer des crises de violence quotidiennement et de plus, l’ambiance professionnelle s’était fortement dégradée. J’ai quitté ce poste en septembre 2018. Surmené, j’étais alors soulagé de pouvoir enfin prendre une pause le temps de retrouver un emploi.
En cette fameuse date du 21 février 2019, je me rends au marché de ma commune afin d’effectuer quelques achats. Je croise alors un chien dangereux sans laisse, et ressent une certaine peur. Je prends sur moi et décide de retirer de l’argent au distributeur. Je me rends alors compte que ma carte ne fonctionne plus.
Encore fragilisé par mes derniers mois de travail dans la tension, combiné par la peur ressentie plus tôt, je me sens à cet instant un peu angoissé. J’aurais dû à ce moment précis rentrer chez moi et me détendre, si j’avais su la catastrophe qui m’attendais.
Je prends donc la mauvaise décision de me rendre à ma banque afin de régler cette histoire de carte bleue ne fonctionnant pas. Il n’y a aucun autre client dans la banque, je suis seul face à deux personnes au guichet, dont mon conseiller. Le ton monte, et je me montre agressif verbalement, et uniquement verbalement, ce qui ne m’arrive jamais. La scène dure plusieurs minutes, je me tiens debout immobile face au guichet, les mains dans le dos, en parlant sur un ton vif. Au bout de quelques temps, un groupe composé de pompiers et de policiers entre dans la banque. Rapidement, les pompiers prennent l’affaire en main et me forcent à monter dans le camion, direction les urgences psychiatriques… Avec du recul, je ne comprends toujours pas pourquoi je ne suis pas allé au commissariat, puisqu’en principe le trouble à l’ordre public relève de la police. Cela m’aurait couté moins “cher” soit dit en passant.
“A peine cette phrase prononcée, l’ensemble des personnes présentes me saute dessus, me déshabille de force, me met en pyjama et m’attache sur le brancard déjà préparé se trouvant dans cette même pièce.”
Arrivé aux urgences, j’attends très longtemps dans une pièce en compagnie d’autres personnes. Un homme alité hurle, quelques pompiers sont présents. Je ne rencontre aucun professionnel de santé. Je décide donc au bout de quelques temps de me lever afin de faire un petit tour. Personne ne m’en empêche. Durant ma déambulation, quelqu’un m’appelle au loin en provenance d’une petite pièce. “Monsieur B. ?” J’entre dans la pièce. J’y trouve environ une dizaine de personnes, probablement des infirmiers. L’un d’entre eux me dit « vous allez mettre un pyjama ». Je rappelle qu’aucun dialogue avec qui que ce soit n’a eu lieu. Je réponds calmement que non, cela va aller. A peine cette phrase prononcée, l’ensemble des personnes présentes me saute dessus, me déshabille de force, me met en pyjama et m’attache sur le brancard déjà préparé se trouvant dans cette même pièce. A ce moment, ils ne savent absolument pas qui je suis, ni ce qui s’est passé. La seule chose plausible est que les pompiers aient expliqué leur intervention.
Je reste attaché au brancard plusieurs heures. Les sangles sont situées au niveau des poignets, de la taille et des mollets. La porte est entrouverte, une vitre ne laissant percevoir pas grand-chose se trouve à côté de la porte. De temps en temps, des personnes en blouse blanche entrent sans se présenter, posent des questions vagues. Des infirmières pratiquent prise de sang et injection sans aucune explication. A un moment, alors seul dans la pièce, je distingue la silhouette de mes parents par la vitre. Ils ne viendront pas me voir.
Après plusieurs heures dans ce contexte, un duo d’ambulanciers viendra me transporter dans une ambulance vers une destination inconnue, sans aucune explication.
Je suis toujours attaché au brancard. Celui qui reste avec moi dans l’arrière de l’ambulance a dans la main le sac contenant les seules affaires que j’avais sur moi, à savoir une veste en cuir et mes vêtements. Il jette alors le sac par terre dans le camion et dit « je ne veux plus la voir cette veste ». Aujourd’hui encore, je ne comprends pas cette phrase… Au passage, ce geste a cassé une montre à gousset qui se trouvait dans la poche de ma veste, un cadeau d’un ami auquel je tenais.
Après le trajet, j’arrive dans ce qui ressemble à une clinique. Toujours sans aucune explication, on me détache et me conduit dans une petite chambre individuelle. Epuisé, je me couche et me réveille au petit matin. En déambulant dans les lieux, je lis sur un plan d’évacuation le nom de l’hôpital dans lequel je me trouve. Je me rends alors compte qu’il n’y a aucun moyen de partir, juste un accès à un petit jardin. Je rencontre alors des personnes étranges, baragouinant. Je comprends alors que je suis dans un service de psychiatrie. Au bout de quelques heures, je suis reçu par une femme médecin qui elle au moins se présentera (enfin !) Il s’agit de la cheffe de service de l’hôpital. Elle me dit que je vais changer d’unité.
Dans cette nouvelle unité, les patients semblent un peu plus éveillés. Mais cela reste un salmigondis de pathologies en tout genre.
Je suis reçu en entretien par un certain Docteur “Ben……”, je tairais son nom complet.
Personnage caricatural, doté d’un accent improbable, et avec qui la communication est très limitée. Je m’explique enfin sur mon parcours et sur ce qui s’est passé. Les jours passent. Je partage ma chambre avec un monsieur étrange, parlant avec difficulté. Le docteur Ben me reçoit plusieurs fois en entretien. Dès le premier jour, une ordonnance de neuroleptiques et anxiolytiques est prescrite. Sur cette ordonnance il est stipulé qu’en cas d’agitation et de refus du traitement, c’est l’injection.
Les entretiens avec le Docteur Ben sont invraisemblables. Toujours en présence d’une infirmière d’ailleurs. On me posera plusieurs fois la question suivante « entendez-vous des voix », ce qui est totalement absurde, puisque ce n’est bien sûr par le cas.
J’ai une visite de mes parents au bout d’une semaine, j’apprends alors que les urgences avaient fait signer une hospitalisation sous contrainte à ma mère. Cette contrainte a été levée par la cheffe de service dans les premiers jours. Je passe donc en soins libres, ce qui ne change strictement rien dans les faits. J’ai tout de même droit à certains “privilèges”, comme une permission d’aller chez mes parents tous les week-ends et des ballades illimitées dans le parc. Cela n’était pas le cas pour d’autres patients. Certains étaient là depuis plusieurs années sans aucune sortie…
Je demande plusieurs fois au Docteur Ben de mettre fin à l’hospitalisation, refus poli à chaque fois.
Un jour, lors d’un énième entretien, le Docteur Ben me fait comprendre que pour sortir définitivement, je dois accepter un neuroleptique sous forme d’injection mensuelle. Je refuse à chaque fois qu’il me fera cette proposition, puis, voyant que je ne sors pas, au bout de deux mois, je fini par accepter à contre-cœur. Apparemment ce chantage a été effectué avec d’autres patients également. Je me retrouve donc avec une date de sortie ainsi qu’un calendrier d’injections à effectuer au CMP (centre médico-psychologique) de ma commune, + un entretien mensuel avec le Docteur Ben, au CMP également.
Nous sommes alors en avril 2019. En août 2019, j’obtiens en négociant avec Dr Ben la possibilité de repasser à un traitement oral, ce qu’il accepte. Puis, je retrouve du travail. Je fini par ne plus aller au CMP. Epanoui dans mon nouveau travail, une année se déroule sans que le CMP ne réagisse. Je me crois alors tiré d’affaire : erreur…
Septembre 2020, soit un an après le dernier entretien, message vocal du CMP :
- « Nous avons constaté que vous n’êtes plus venu depuis septembre 2019, on veut donc savoir où vous en êtes avec votre traitement et votre suivi. »
Je réponds alors en leur envoyant un mail, esquivant la question du traitement, en leur expliquant en gros que je suis en CDI et que tout va bien dans ma vie.
Une semaine plus tard, je reçois un courrier du CMP :
- « Suite à votre mail, le Docteur Ben souhaite que vous preniez rendez-vous avec lui au CMP pour faire le point ensemble ».
Là je commence sérieusement à flipper. J’ai alors l’idée brillante de recontacter un médecin psychiatre, expert de surcroit, avec qui j’ai travaillé comme éducateur. Je lui explique tout, et lui demande de contacter le Docteur Ben pour négocier la fin du suivi au CMP. Il me confirme au passage sa surprise et me certifie que j’ai aucune pathologie psychiatrique, que l’évènement de la banque s’explique par mon vécu professionnel qu’il a lui-même partagé.
Il téléphonera au Docteur Ben le lendemain. Il me fera le retour suivant :
- ” J’ai eu le docteur Ben au téléphone, cela s’est très bien passé, il a très bien compris que vous ne souhaitiez plus être suivi par le CMP et tirer un trait sur cette affaire, donc ne vous inquiétez pas, il est d’accord, ils ne vous embêteront plus. »
Nous sommes alors le 7 octobre 2020.
Depuis, le CMP n’a effectué aucune relance. Je m’en suis bien sorti. Je n’ose imaginer ce qui se serait passé sans l’intervention de ce médecin. Je reste tout de même sur mes gardes. Je garde donc précieusement le contact de ce médecin. J’ai également pour projet de prendre un avocat en cas de récidive du CMP, et je tente de recontacter un autre médecin psychiatre avec qui j’ai travaillé, car vaut mieux avoir le plus de cartes possibles au cas où.
Cette expérience est traumatisante, absurde, inouïe.
La psychiatrie est le pire orangisme de répression en France, les moyens d’y échapper sont très restreints. S’opposer seul est vain, il faut avoir des relations, si possible des psychiatres du “bon côté” et un bon avocat !