Conclusions et recommandations du rapporteur spécial
Extraits
Il n’y a pas de santé sans la santé mentale, et il n’y a pas de bonne santé mentale ni de bien-être en dehors d’une approche fondée sur les droits de l’homme. Œuvrer en faveur de la dignité et du bien-être, outre que cet objectif est par essence et universellement salutaire, constitue un impératif sur le plan des droits de l’homme.
Les deux premières décennies du nouveau millénaire ont amené de nombreux changements prometteurs dans le domaine de la santé mentale. La promotion d’une bonne santé mentale a été incluse dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030 et des initiatives impressionnantes ont été lancées de par le monde pour faire progresser la santé mentale sous tous ses aspects : promotion, prévention, traitement, réadaptation et rétablissement.
Toutefois, malgré ces tendances prometteuses, la situation reste globalement marquée par une incapacité de la communauté internationale à remédier aux violations des droits de l’homme dans les systèmes de santé mentale. Ce statu quo inacceptable renforce le cercle vicieux de la discrimination, de la perte d’autonomie, de la coercition, de l’exclusion sociale et de l’injustice. Partout dans le monde, la perception de la détresse, du traitement et, plus largement, du soutien évolue et va aujourd’hui bien au-delà d’une conception biomédicale de la santé mentale. Le statu quo international, ses tenants institutionnels et ses gardiens sont de plus en plus dépassés à mesure que se fissure le consensus sur les modalités souhaitables des transformations à venir. La situation actuelle n’est plus viable politiquement et porte atteinte aux droits de l’homme.
L’appel à remédier aux lacunes en matière de traitement se focalise en grande partie sur la « charge mondiale des troubles mentaux », au détriment des droits de l’homme.
Ce déséquilibre systémique fait que les acteurs concernés ne sont guère incités à changer de cap et il produit des effets systémiques néfastes, ce qui va à l’encontre de l’obligation éthique de « ne pas nuire ». Le principal obstacle à la réalisation du droit à la santé mentale ne se situe pas au niveau de l’individu ni ne réside dans la charge mondiale des troubles mentaux : il trouve plutôt sa source dans le fardeau structurel, politique et mondial que représentent les systèmes de santé mentale archaïques et défaillants. 84. Pour remédier à ces obstacles, aux asymétries de pouvoir dans le domaine des soins de santé mentale, à l’empire du modèle biomédical et à l’utilisation tendancieuse des connaissances, il faut modifier les lois, les politiques et les pratiques. En particulier, la prédominance de la médicalisation dans les réformes d’orientation en cours, dont certaines sont perçues comme progressistes, continue d’occulter les injustices sociales plus vastes que la communauté mondiale doit combattre. Les mouvements d’usagers des services, de personnes présentant un handicap psychosocial, de personnes qui revendiquent leur folie et de personnes qui entendent des voix, qui sont autant de détenteurs de droits, doivent jouer un rôle de premier plan dans la lutte pour le changement axé sur les droits. Le développement de l’aide fondée sur les droits au sein et en dehors des systèmes de santé mentale existants est éminemment prometteur pour les transformations nécessaires.
Il existe une cause commune dans ce monde en rapide évolution. De profondes transformations sont à l’œuvre à l’échelle mondiale et la crise internationale de la santé mentale n’est pas sans lien avec d’autres domaines du militantisme en faveur des droits de l’homme. L’autoritarisme, le néolibéralisme contemporain, les changements climatiques, le paternalisme et l’essor des mégadonnées, qui sont autant de menaces pour les droits de l’homme, ouvrent cependant la voie à un rassemblement solidaire en vue de repenser et remodeler les structures sociales, économiques et politiques pour garantir un avenir durable, pacifique, juste et inclusif.
Le Rapporteur spécial recommande aux États :
a) De prendre les mesures législatives, politiques et autres nécessaires pour mettre pleinement en œuvre une approche de la santé mentale fondée sur les droits de l’homme, avec la participation des personnes qui ont vécu une expérience dans ce domaine ;
b) D’investir dans la recherche axée sur les droits dans ce domaine, afin de soutenir ces mesures et d’assurer une meilleure prise en compte, sur le plan conceptuel, de leur exécution et des activités de terrain à des fins de réforme ;
c) De tenir compte des données probantes en matière de santé publique, des expériences que vivent les personnes concernées et des recherches axées sur les droits, afin d’orienter la prise de décisions concernant les stratégies de politique publique mondiales et nationales. Pour ce faire, il faudrait en priorité se détourner du modèle de la médicalisation dans l’élaboration des réformes de la santé mentale, de la justice pénale et de l’assistance sociale ;
d) De prendre des mesures immédiates pour appliquer les recommandations formulées par le Conseil des droits de l’homme dans ses résolutions 32/18 et 36/13 sur la santé mentale et les droits de l’homme ;
e) De promouvoir la santé mentale en augmentant le soutien financier aux programmes durables et transversaux permettant de réduire la pauvreté, les inégalités, la discrimination fondée sur un quelconque motif et la violence dans tous les milieux, afin d’agir efficacement sur les principaux déterminants de la santé mentale ;
f) D’investir dans des services de santé mentale de proximité, adaptés aux enfants et aux adolescents et centrés sur la famille, et de s’attaquer préventivement aux incitations financières et autres qui entretiennent le placement en institution, l’exclusion sociale et le recours excessif aux médicaments psychotropes ;
g) De promouvoir les principes du vieillissement en bonne santé et du respect du droit des personnes âgées de vivre dans leur communauté, et de mettre en place des mesures, telles que le perfectionnement du personnel, visant à mettre un terme au surdiagnostic et au recours excessif aux médicaments psychotropes.
Le Rapporteur spécial recommande aux organisations représentant le milieu professionnel de la psychiatrie, y compris la médecine universitaire :
a) D’ériger clairement les droits de l’homme et la justice sociale en valeurs fondamentales dans la promotion des interventions en matière de santé mentale ;
b) De moderniser l’enseignement médical et d’intégrer la santé mentale et les droits de l’homme dans les cours de médecine et la recherche médicale, en mettant notamment l’accent sur la nécessité de réduire fortement la coercition, la surmédicalisation, le placement en institution, toutes les formes de discrimination à l’égard des personnes présentant des troubles mentaux et les autres violations des droits de l’homme ;
c) De mettre fin au rejet des dispositifs d’aide non coercitive fondée sur les droits qui sortent du cadre habituel et de susciter davantage le dialogue sur la manière dont ces initiatives peuvent également s’inscrire dans la dynamique du changement.
Le Rapporteur spécial recommande à l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) d’œuvrer aux côtés des États, dans le cadre d’une coopération et d’une assistance internationales, pour que les stratégies ci-après soient prioritairement mises en œuvre :
a) Soutenir l’élaboration de principes et de pratiques exemplaires visant à aborder les politiques et les services de santé mentale selon une approche fondée sur les droits ;
b) Appuyer la réforme des lois et pratiques discriminatoires en matière de santé mentale, notamment en déployant à plus grande échelle l’initiative QualityRights ;
c) Passer en revue la liste actuelle des médicaments essentiels dans le domaine de la santé mentale (points 24.1 à 24.4) et en retirer ceux dont il n’est pas prouvé qu’ils présentent un rapport satisfaisant entre les risques et les bénéfices ;
d) Soutenir l’élaboration d’une nouvelle liste holistique d’interventions psychosociales axées sur la population, fondées sur des données probantes, définies et mises en place selon des principes axés sur la participation et les droits de chacun et mieux à même de guider les États pour qu’ils respectent pleinement le droit à la santé ;
e) S’engager à assurer la cohérence des nombreuses actions en faveur des droits de l’homme que mène l’OMS, l’objectif étant que les principes et les valeurs énoncés dans la Convention relative aux droits des personnes handicapées, ainsi que le droit à la santé consacré par la Constitution de l’OMS, sous-tendent et orientent l’ensemble des activités d’assistance technique, y compris l’élaboration de normes mondiales, la réalisation de mesures au niveau international et l’établissement de lignes directrices mondiales en matière de santé mentale.
SOURCE :
Rapport du Rapporteur spécial sur le droit qu’à toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale possible
Conseil des droits de l’homme
Quarante-quatrième session 15 juin-3 juillet 2020
Distr. générale 15 avril 2020
https://documents-dds-ny.un.org/doc/UNDOC/GEN/G20/094/46/PDF/G2009446.pdf?OpenElement