Dérives de l’hospitalisation forcée : quand le droit cède face au tout médical
Dans une analyse récente, Mathias Couturier, maître de conférences à l’Université de Caen Normandie, s’est penché sur deux récents arrêts de la Cour de cassation validant des admissions tardives de patients en soins psychiatriques sans consentement (Cass. 1re civ., 4 déc. 2024, n° 23-21.021 et Cass. 1re civ., 14 nov. 2024, n° 23-12.131). Ces décisions concernent des cas où la formalisation de l’admission par le directeur de l’établissement a eu lieu 16 à 24 heures après l’arrivée physique du patient. La Cour a estimé que ces retards ne causaient pas de préjudice aux droits des patients.
Mathias Couturier souligne pourtant que, selon un avis de 2016 de la Cour de cassation, (Cass. avis, 11 juill. 2016, no 16008P) la décision administrative d’admission ne peut être rétroactive et ne doit être retardée que le temps strictement nécessaire à la transmission des pièces requises et à l’élaboration matérielle de l’acte, soit quelques heures au maximum. Cependant, les arrêts ultérieurs ont assoupli cette position, validant des retards plus importants dès lors qu’aucune atteinte aux droits du patient n’était démontrée.
Mais peut-on réellement affirmer qu’une telle attente ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux du patient ? La Cour de cassation justifie cette absence de préjudice en se basant sur la nécessité de soins psychiatriques urgents sans consentement. Toutefois, cette justification ne prend pas en compte une dimension essentielle : les libertés fondamentales du patient. Être interné en psychiatrie sans consentement constitue une privation grave de liberté, comparable à une détention. Dans toute démocratie fondée sur l’État de droit, une telle mesure ne peut être laissée à la seule appréciation médicale.
C’est précisément pour cette raison que la justice joue un rôle essentiel dans la protection des libertés individuelles. La loi impose qu’un juge des libertés et de la détention valide l’admission en soins psychiatriques sans consentement dans un délai de 12 jours à compter de l’admission. Ce contrôle judiciaire est fondamental pour éviter les dérives d’un système où seule la décision du psychiatre ferait foi, sans intervention extérieure. Sans cette garantie, nous basculerions vers un « tout médical » où l’arbitraire l’emporterait sur le respect des droits individuels.
Il est donc scandaleux qu’une personne hospitalisée sans son consentement puisse attendre plus d’une journée, voire davantage, pour que sa décision d’hospitalisation soit formellement actée par le directeur de l’établissement. Ce retard compromet la notification de ses droits, les voies de recours pour contester cette admission et la possibilité d’informer ses proches. Une telle situation est inacceptable et constitue une violation flagrante des droits fondamentaux des patients.
L’État doit garantir un équilibre entre la nécessité des soins psychiatriques et le respect des libertés individuelles. Toute admission en psychiatrie sans consentement doit être encadrée par des règles strictes et appliquées sans complaisance. Il en va du respect des droits fondamentaux de chaque citoyen, y compris ceux en situation de vulnérabilité.