Histoire de la psychiatrie
Un ouvrage sur l’histoire des traitements psychiatriques est paru en 2022 aux Etats-Unis (Belknap Press). Son titre anglais, « Desperate Remedies. Psychiatry’s Turbulent Quest to Cure Mental Illness » pourrait être traduit par « Remèdes désespérés. La recherche mouvementée de la psychiatrie pour guérir la maladie mentale ».
Son auteur, Andrew Scull, professeur émérite de sociologie et d’histoire des sciences à l’université de Californie (San Diego), est un éminent spécialiste de l’histoire de la psychiatrie.
En attendant la traduction de cet ouvrage en français, on pourra consulter utilement la présentation qui vient d’en être faite sur le site BOOKS.
L’article de Books commence par ces mots « L’histoire de la psychiatrie est un cimetière de conceptions fantaisistes, aux conséquences souvent dévastatrices ».
Il faut dire que le catalogue des « traitements » à prétention médicale ou scientifique infligés aux pauvres patients fait froid dans le dos.
A quelles théories douteuses et à quels crimes peut mener l’impuissance thérapeutique de la psychiatrie face à la folie ou au handicap ?
Quelques exemples parmi d’autres :
- La stérilisation forcée: une loi de 1909 en Californie, adoptée ensuite dans d’autres états, autorisait la stérilisation forcée des handicapés et malades mentaux. Cette pratique s’est poursuivie dans certains pays nordiques et bien-sûr dans l’Allemagne nazie, ainsi que, à grande échelle (60000 cas), aux Etats-Unis jusqu’aux années 1970.
- La théorie bactérienne de la psychose : au début du XXème siècle, après avoir essayé d’injecter directement dans le cerveau des patients du Salvarsan (médicament pour traiter la Syphilis), le Dr Henri Cotton, face au manque de résultat, «s’était rabattu sur les divers foyers infectieux susceptibles, spéculait-il, d’affecter à distance le cerveau. Il suffisait donc de procéder à l’ablation des foyers potentiels – dents, amygdales, estomac, colon, thyroïde, ovaires, col de l’utérus, etc. – pour couper le mal à sa racine. Une absence de résultat signifiait, non pas que la théorie était à revoir, mais qu’un autre foyer était vraisemblablement responsable et devait être à son tour enlevé » Conséquence immédiate des ablations du colon selon un rapport : 44% de décès et bien sûr zéro guérison !
- Provocation d’un sommeil prolongé à l’aide de barbituriques dans le but (vite déçu) de « guérir la schizophrénie » par le Dr Jakob Klaesi ou d’un coma profond des patients par injection d’insuline par le Dr Sakel.
- Création artificielle de convulsions épileptiques pour réduire les symptômes de la schizophrénie par injections de doses élevées de Metrazol (stimulant circulatoire et respiratoire) par le Dr Meduna.
- La lobotomisation, introduite par le neurologue portugais Edgar Moniz « bientôt suivi par Walter Freeman et d’innombrables psychiatres américains, [qui] perçait la boîte crânienne des patients au niveau des orbites de l’œil pour réarranger, disait-il, les connections neuronales bloquées (Freeman utilisait pour ce faire un instrument spécial inspiré d’un pic à glace trouvé dans sa cuisine).
- Et bien sûr, les électrochocs mis au point par l’Italien Ugo Cerletti et toujours largement pratiqués par les psychiatres du monde entier !
Après la Seconde guerre mondiale, l’influence grandissante des théories psychanalytiques auprès des psychiatres américains, sous l’impulsion notamment de William Menninger, n’a pas empêché de très nombreux psychiatres de continuer de pratiquer les électrochocs et les lobotomies.
A peu près à la même époque, l’avènement de « la révolution psychopharmacologique » permet à l’industrie pharmaceutique de s’emparer d’un fabuleux marché et d’engranger des milliards de bénéfices : « À la psychiatrisation de la vie quotidienne à laquelle avait présidé la psychanalyse a succédé une psycho-biologisation sans rivages : une pilule pour chaque maladie, remboursée par les tiers payants ! »
(…) « La révolution psychopharmacologique, qui était censée libérer les malades et les rendre à une existence à peu près normale, a abouti, par un paradoxe pervers, à créer une population de clochards, de mendiants et de prisonniers, tout comme à l’époque d’avant la création de la psychiatrie ».
* Cet article est paru dans la Los Angeles Review of Books le 6 juin 2022, sous le titre « Psychiatric Hubris ». Il a été traduit par l’auteur pour la Booksletter. Pour aller plus loin, lire l’article d’Andrew Scull sur Michel Foucault publié par Books en septembre 2019.