Publication du rapport annuel du Contrôleur général des lieux de privation de libertés
La publication d’un nouveau rapport du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) est toujours un événement pour qui s’intéresse aux Droits de l’Homme. Le rapport annuel 2023 paru récemment aux Dalloz est disponible depuis fin juin 2024 à l’adresse suivante : https://www.cglpl.fr/2024/publication-du-rapport-dactivite-2023/
Une partie importante de ce rapport est consacrée aux conditions de vie dans les prisons (surpopulation, manque d’hygiène, etc.), mais c’est la situation dans les établissements psychiatriques qui a retenu en priorité notre attention.
L’introduction de Mme Dominique Simmonot donne le ton avec ce témoignage d’un patient en psychiatrie, soumis à la contention : « Voilà une liste non exhaustive des conditions auxquelles j’ai été soumis : attaché pieds et poings liés durant 16 h d’affilée sans passage d’infirmier et sans bouton d’appel d’urgence. J’ai dû uriner tant bien que mal par-dessus les barrières du lit ; Sédation et médication pour traiter mon état alors qu’un seul échange patient/médecin a eu lieu en pleine nuit après ma sédation donc autant parler avec un mur vu le dosage employé et la fatigue émotionnelle que je présentais ; Isolement total […] pendant toute la durée de mon séjour, Intimidation de la part des membres du personnel : “si tu ne prends pas tes cachets, je te les ferai prendre de force ».
Ce que ce patient dit avoir vécu concorde malheureusement avec les nombreux témoignages que la CCDH reçoit chaque semaine.
Plus loin, le rapport précise : « Ici, ce sont des malades bouclés à l’isolement ou pire attachés, « contenus », à leur lit, à leur chaise, par cinq points et impossible de bouger, même pour aller aux toilettes ou pour appeler. À force de visites, la surprise est de voir des services qui marchent bien, de rencontrer des soignants qui, ne croyant nullement à de prétendues vertus thérapeutiques de la contention, en parlent comme d’un supplice à éviter absolument. Leurs efforts payent, ils servent d’exemples. Au prix de leur épuisement ».
Parmi tous les points soulevés par le CGLPL, nous avons relevé particulièrement ceux-ci :
- Les hospitalisations psychiatriques en urgence ou en raison d’un péril imminent, procédures censées être exceptionnelles car elles présentent moins de garanties de recours aux patients, continuent d’augmenter : « Dans tous les cas, le nombre des admissions sur décision du directeur de l’établissement est en progression et, parmi celles-ci, les décisions prises sur demande d’un tiers en urgence ou en raison d’un péril imminent augmentent en nombre et en proportion. Les patients concernés se voient donc privés de la garantie que constitue la double expertise d’un psychiatre et parfois même de la protection liée à la demande d’un tiers ».
- Les droits des patients relevant de la psychiatrie dans les services d’urgence ne sont pas protégés : « Il est nécessaire que des schémas territoriaux des urgences prennent en compte l’accueil des patients en santé mentale et que les contraintes mises en œuvre dès l’arrivée aux urgences soient dûment enregistrées afin que les patients bénéficient de l’intégralité des protections prévues par la loi quant à la durée de l’isolement et de la contention et à son contrôle par le juge ».
- La loi concernant l’isolement et la contention est très inégalement respectée.
- Trop de mesures d‘isolement et de contention ne font l’objet d’aucun enregistrement (aux urgences notamment) et échappent ainsi, en toute illégalité, à tout contrôle.
- Certains établissements persistent à considérer ces mesures, pourtant typiquement d’ordre sécuritaire, comme « thérapeutiques » ou évoquent des « prescriptions » d’isolement.
- La recherche du consentement aux soins est insuffisante.
« Dans la plupart des établissements visités, la recherche du consentement est peu développée, les explications données au patient sont rares et sommaires, les patients ne sont pas acteurs de leur traitement, ils le subissent, ce qui est une manifestation de la culture de l’enfermement » (…) « Le CGLPL préconise la mise en place systématique des moyens d’aide à la recherche du consentement que sont les personnes de confiance, les directives anticipées en psychiatrie et les médiateurs de santé ».
- Les mineurs hospitalisés en psychiatrie devraient bénéficier des mêmes droits et au moins de la même protection que les adultes.
(Ceci est un point extrêmement important sur lequel la CCDH aura l’occasion de revenir dans les mois qui viennent).
« Le CGLPL rappelle l’interdiction de placer des patients en soins libres, a fortiori mineurs, à l’isolement ou sous contention et souligne que si une telle mesure venait à être prise elle ne saurait en aucune manière être soustraite au contrôle du juge.
– que les mineurs hospitalisés en psychiatrie sur la base d’une décision de l’autorité parentale, sont privés de liberté de fait et doivent bénéficier d’une protection au moins équivalente à celle dont bénéficient les adultes en soins sans consentement ;
– que les mineurs doivent être hospitalisés dans des services adaptés à leur âge, séparément des adultes, et ne doivent en aucun cas, même s’ils sont en soins sans consentement, être contenus ou isolés ».
- 2 des 3 Unités pour Malades Difficiles (UMD) visitées en 2023 présentent une situation dégradée.
« En 2023, le CGLPL a visité trois UMD. […] Si dans l’un de ces services, le CGLPL a été impressionné par la qualité du travail médico-soignant et de l’attention portée au respect des droits fondamentaux et à la dignité des personnes qui s’y trouvent, les deux autres ont appelé plus de réserves. Le cloisonnement des circulations internes, des conditions indignes d’isolement ou de contention associées à un recours fréquent à ces contraintes, la longueur de l’enfermement de nuit ou l’interdiction du téléphone font peser des contraintes systématiques et, à ce titre, excessives sur les patients, parfois sans que celles-ci soient clairement explicitées ou conceptualisées, ni même harmonisées. […] »
- Un pourcentage important de détenus souffrirait de troubles mentaux.
A cette occasion le CGLPL « rappelle que la prison ne peut pas être regardée comme un lieu de soins ».
La CCDH rappelle qu’à l’inverse, un lieu de soins ne saurait être regardé comme une prison. (Voir à ce propos notre article « Hôpital psychiatrique ou prison ? Le mélange des genres » sur ce même site)
- Il faut repenser le système en profondeur pour une psychiatrie respectueuse des droits humains.
Sont ensuite rappelées les orientations sur la santé mentale, les droits de l’homme et la législation du Haut-Commissariat des Nations-Unies aux droits de l’homme et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS)
- « Ces organismes ont publié un nouveau guide « Santé mentale, droits de l’homme et législation » qui a pour but d’aider les États à entreprendre des réformes juridiques en matière de santé. Il s’agit de mettre fin à des violations généralisées des droits humains, ainsi qu’à une prévalence des méthodes coercitives dans les traitements des troubles mentaux (hospitalisations et traitements forcés, conditions de vie insalubres, abus physiques, psychologiques et émotionnels, etc.).
- L’objectif est de faire naître des réformes juridiques, des législations qui seront respec- tueuses des droits et axées sur le rétablissement du patient. La nécessité de repenser le système en profondeur en réformant la loi de sorte qu’elle garantisse le respect de la dignité individuelle et mette en avant la participation du patient à son rétablissement est soulignée.
- Le guide déplore notamment l’absence de recherche de consentement du patient, l’absence de prise en compte de ses observations ou de sa volonté dans le choix de son traitement, l’approche coercitive dans le traitement des maladies mentales, ainsi que l’incapacité des gouvernements de donner aux services de santé mentale les ressources nécessaires permettant de garantir un accès à des services de qualités. Il propose de désinstitutionnaliser le secteur psychiatrique, en supprimant sa dimension coercitive et surmédicalisée, pour aller vers une approche de la santé mentale basée sur le respect des droits humains, ainsi que de repenser la relation entre professionnels de santé et usagers du système de santé en créant une relation avec le patient qui prend compte la complexité de chaque personne avec un accompagnement personnalisé.
- Le guide recommande pour cela de repenser le système en profondeur, de combattre la stigmatisation et les idées fausses autour de la santé mentale, d’établir des législations avec des indications compréhensibles pour tous les usagers du système de santé. Il demande un contrôle indépendant du respect des droits des usagers et des instances relatives aux droits de l’homme en matière de santé mentale.
- Il fournit également des conseils sur les manières de traiter les cas les plus complexes dans la législation sans recours à des pratiques coercitives, de garantir le droit des patients même dans les situations de crise, de faciliter le développement et l’expansion des services en matière de soins psychiatriques et de promouvoir un environnement de travail favorable aux personnes souffrant de troubles mentaux.
- Le CGLPL tient à rappeler ces recommandations émises par des organismes internationaux auxquels la France participe dans le contexte difficile qui caractérise aujourd’hui la psychiatrie et qui, comme on l’a dit ci-dessus, impose que l’on surmonte les difficultés ou que l’on change de modèle ».
Le CGLPL fait enfin la liste des recommandations formulées en 2020 dans 2 de ses rapports : le rapport thématique ‘Soins sans consentement et droits fondamentaux » et le rapport annuel 2020. Les réponses du ministère de la Santé, parfois évasives, lapidaires ou hors sujet, montrent cependant que des avancées, dont certaines restent à confirmer sur le terrain, ont été possibles.
Une fois de plus, il est ainsi démontré le rôle essentiel du CGLPL, soutenu et complété par le travail des associations de défense des droits des patients psychiatriques. L’action des personnels de santé qui refusent cette situation et qui agissent de l’intérieur pour un véritable respect des droits humains en psychiatrie peut être, elle aussi, essentielle.
Seules la détermination et la persistance de tous ces acteurs permettront de venir à bout de tout ce qui freine ou empêche l’émergence de ce « nouveau modèle » d’une psychiatrie véritablement respectueuse des droits humains.