Evolution législative
Rendre effectif les droits de l’Homme en Psychiatrie
La CCDH entreprend des enquêtes et collecte des données auprès des administrations et des hôpitaux publics pour mener à bien sa mission d’information.
Organisme en pointe dans la défense de la dignité des patients psychiatriques, elle a longuement milité pour le renforcement de leurs droits en menant de nombreuses campagnes d’information auprès des pouvoirs publics, autorités de santé et parlementaires de façon à leur rapporter les faits et témoignages qu’elle reçoit chaque jour. Plus spécifiquement, la CCDH a apporté sa contribution et son soutien aux différentes réformes législatives apportées à la psychiatrie ces dernières années.
Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a imposé, le 26 novembre 2010 la mise en place d’une procédure judiciaire de contrôle systématique et régulier, des mesures d’hospitalisation psychiatrique sans consentement d’une durée supérieure à 15 jours. Ceci a constitué une réelle avancée en matière de protection des droits de l’homme.
Auparavant, les hospitalisations psychiatriques sous contrainte, bien qu’elles représentent une privation évidente de liberté, n’étaient placées sous aucun contrôle judiciaire, sauf si le patient ou sa famille prenait l’initiative de saisir le juge. La loi du 5 juillet 2011 a pris acte de cette décision et précisé les modalités de mise en œuvre d’un tel dispositif. Ce dispositif prévoit que les personnes internées à la demande d’un tiers ou du préfet puissent accéder, à intervalles réguliers, à l’instance judiciaire. Il instaure le principe d’un débat contradictoire au cours duquel le patient doit, sauf raison médicale, être entendu par le juge de la liberté et de la détention. Il précise également que le patient peut être assisté d’un avocat, et doit l’être lorsqu’il ne peut être personnellement entendu par le juge.
La décision du Conseil constitutionnel du 20 avril 2012 a rendu obligatoire une révision de la loi du 5 juillet 2011 avant le 1er octobre 2013 car les articles relatifs aux procédures appliquées aux personnes séjournant ou ayant séjourné en unités pour malades difficiles (UMD) et aux cas d’irresponsabilité pénale, ont été déclarés anticonstitutionnels.
Le 7 novembre 2012, une mission d’information sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie a été instaurée à l’Assemblée Nationale afin de préparer la réforme obligatoire demandée par le Conseil Constitutionnel mais aussi de proposer des améliorations de la loi de juillet 2011 sur les soins psychiatriques sans consentement.
Le rapporteur de cette mission, le député Denys Robiliard a auditionné de nombreuses autorités afin d’établir son rapport d’étape publié le 29 mai 2013.
Dans ce même temps, la CCDH a réalisé une brochure comprenant l’ensemble de ses propositions de réforme afin de modifier certaines dispositions de la loi de juillet 2011, particulièrement préoccupantes en matière de droits de l’homme.
Malgré ces progrès, la législation française était insuffisante car elle n’encadrait pas toutes les pratiques hospitalières portant atteinte aux droits fondamentaux des patients.
A cet égard, la CCDH soutenait la position du Contrôleur général des lieux de privation de libertés qui avait longtemps souhaité la mise en place d’un registre consignant les mesures de contention et d’isolement prises au sein des hôpitaux psychiatriques :
« Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté recommande depuis 2009, suite à ses premiers constats effectués dans les services de psychiatrie, que le recours à l’isolement comme à la contention soit consigné dans un registre spécifiquement établi et que soit réalisé un suivi tant quantitatif que qualitatif de ces mesures. Cette recommandation a enfin été prise en compte par le législateur avec la loi du 26 janvier 2016 et le CGLPL sera très vigilant quant aux modalités de sa mise en œuvre dans les établissements hospitaliers ; mais à ce jour encore les professionnels ne disposent d’aucun recensement actualisé de ces mesures de contraintes ».
La loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a donc adopté un article 72 instituant un nouvel article L.3222-5-1 du code de la santé publique qui encadre très sérieusement la contention et l’isolement et prévoyant la tenue des registres en question :
« L’isolement et la contention sont des pratiques de dernier recours. Il ne peut y être procédé que pour prévenir un dommage immédiat ou imminent pour le patient ou autrui, sur décision d’un psychiatre, prise pour une durée limitée. Leur mise en œuvre doit faire l’objet d’une surveillance stricte confiée par l’établissement à des professionnels de santé désignés à cette fin. »
Elle a institué la tenue obligatoire d’un registre des mesures de contention et d’isolement ainsi que la rédaction d’un rapport sur ces pratiques par l’établissement de santé :
« Un registre est tenu dans chaque établissement de santé autorisé en psychiatrie et désigné par le directeur général de l’agence régionale de santé pour assurer des soins psychiatriques sans consentement en application du I de l’article L. 3222-1. Pour chaque mesure d’isolement ou de contention, ce registre mentionne le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure, sa durée et le nom des professionnels de santé l’ayant surveillée. Le registre, qui peut être établi sous forme numérique, doit être présenté, sur leur demande, à la commission départementale des soins psychiatriques, au Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou à ses délégués et aux parlementaires.
L’établissement établit annuellement un rapport rendant compte des pratiques d’admission en chambre d’isolement et de contention, la politique définie pour limiter le recours à ces pratiques et l’évaluation de sa mise en œuvre. Ce rapport est transmis pour avis à la commission des usagers prévue à l’article L. 1112-3 et au conseil de surveillance prévu à l’article L. 6143-1 ».
Pour que la loi soit appliquée de manière uniforme, le ministère de la santé a publié l’instruction n°DGOS/R4/DGS/SP4/2017/109 du 29 mars 2017 relative à la politique de réduction des pratiques d’isolement et de contention.
Cette instruction ministérielle a rappelé de manière claire les obligations des hôpitaux et a donné des instructions précises sur l’élaboration du registre de contention et d’isolement. Elle a qualifié ce registre de « document administratif établi sous la responsabilité du directeur d’établissement » et a donné des directives sur son contenu :
« Pour chaque mesure d’isolement ou de contention, le registre mentionne l’identifiant anonymisé du patient, le service dont il dépend, le nom du psychiatre ayant décidé cette mesure, sa date et son heure de début et de fin, sa durée en heure décimale et le nom des professionnels de santé l’ayant surveillé ».
Le contrôle de la bonne application de la loi et du respect des droits des patients s’exerce à plusieurs niveaux, parmi lesquels :
- Les Commissions Départementales de Soins Psychiatriques (CDSP) qui dépendent des Agences Régionales de santé (ARS) : elles sont normalement destinataires de ces documents Mais, comme le souligne un récent rapport de
l’Union nationale de familles et amis de personnes et/ou handicapées psychiques (UNAFAM) , ce contrôle est très inégalement exercé.
- Le Contrôleur Général des Lieux de Privations de Liberté (CGLPL), organisme indépendant dont les visites de contrôle sont suivies de rapports très précis et souvent très sévères sur les situations et pratiques constatées.
Concrètement, la mise en œuvre de la loi de 2016 a pris beaucoup de retard et semble avoir rencontré pas mal de difficultés et de résistances.
La CCDH, utilisant la loi permettant à tout citoyen d’obtenir l’accès aux documents administratifs, a demandé à tous les hôpitaux concernés de lui transmettre leurs registres et rapports pour les années 2017, 2018 et 2019. L’objectif poursuivi s’inscrit complètement dans la mission statutaire de la CCDH et les informations qu’elle demande sont absolument nécessaires pour lui permettre d’exercer cette mission en vertu du droit à la liberté d’expression et d’association.
Certains hôpitaux se sont pliés sans problème à cette obligation de transparence. Mais plusieurs directions d’établissements psychiatriques se sont montrées très réticentes à se soumettre à cette obligation légale malgré les avis favorables rendus par la Commission d’Accès aux Documents Administratifs (CADA). Ces avis n’ont pas empêché certains hôpitaux de maintenir leur refus et plusieurs procédures sont en cours auprès des Tribunaux Administratifs. A ce jour, plus de 40 hôpitaux ont déjà été condamnés à transmettre à la CCDH ces registres et rapports.
L’étude approfondie des documents déjà reçus permet de mieux comprendre ce refus obstiné de la transparence : une majorité des hôpitaux ne respectent ni la loi ni la dignité et les droits des patients.
La CCDH a collecté plus de 350 registres et rapports annuels relatifs à la contention et l’isolement pratiqués dans les hôpitaux psychiatriques français.
Toujours afin de renforcer les contrôles sur les mesures de privation de libertés pratiquées dans les établissements psychiatriques et éviter les abus, le Conseil Constitutionnel a donné comme ultimatum au Gouvernement la date du 31 décembre 2020 pour modifier l’article L.3222-5-1 du Code de la santé publique et instaurer un contrôle systématique des mesures de contention et d’isolement par le juge judiciaire (Décision n° 2020-844 QPC du 19 juin 2020).
Ci-dessous un extrait de la décision :
« 7. Si l’article 66 de la Constitution exige que toute privation de liberté soit placée sous le contrôle de l’autorité judiciaire, il n’impose pas que cette dernière soit saisie préalablement à toute mesure de privation de liberté. Dès lors, en ce qu’elles permettent le placement à l’isolement ou sous contention dans le cadre de soins psychiatriques sans consentement, les dispositions contestées ne méconnaissent pas l’article 66 de la Constitution.
- En revanche, la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible. Or, si le législateur a prévu que le recours à l’isolement et à la contention ne peut être décidé par un psychiatre que pour une durée limitée, il n’a pas fixé cette limite ni prévu les conditions dans lesquelles au-delà d’une certaine durée, le maintien de ces mesures est soumis au contrôle du juge judiciaire. Il s’ensuit qu’aucune disposition législative ne soumet le maintien à l’isolement ou sous contention à une juridiction judiciaire dans des conditions répondant aux exigences de l’article 66 de la Constitution.
- Par conséquent et sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre grief, le premier alinéa de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique doit être déclaré contraire à la Constitution. Il en va de même, par voie de conséquence, des deux autres alinéas de cet article. »
Afin de tirer les conséquences de la décision du Conseil Constitutionnel, il est proposé une nouvelle rédaction de l’article L. 3222-5-1 du code de la santé publique (CSP) afin de fixer les durées des mesures d’isolement et de contention, conformément aux recommandations de la Haute Autorité de Santé (HAS) de 2017.
Ainsi, la mesure d’isolement est prise pour une durée de douze heures. Si l’état de santé du patient le nécessite, elle peut être renouvelée dans la limite d’une durée totale de quarante-huit heures.
La mesure de contention est prise pour une durée de six heures, dans le cadre d’une mesure d’isolement. Elle peut être renouvelée dans la limite d’une durée totale de vingt-quatre heures.
Ces mesures ne peuvent être prolongées au-delà de ces durées qu’à titre exceptionnel.
En outre, le médecin qui envisage le renouvellement de ces mesures doit en informer le juge des libertés et de la détention qui peut se saisir d’office pour y mettre fin.
Le médecin en informe également les personnes visées à l’article L. 3211-12 du Code de la santé publique, parmi lesquelles figure le procureur de la République, et il leur donne connaissance des modalités de saisine de ce juge.
Le dispositif proposé prévoit une information systématique du juge des libertés et de la détention non seulement en cas de renouvellement de ces mesures au-delà d’une certaine durée mais aussi lorsque plusieurs mesures d’isolement ou de contention sont prises dans un délai rapproché et/ou sur une période de temps assez courte.
Le contrôle du juge des libertés et de la détention sur les mesures d’isolement et les mesures de contention a été précisé aux articles L. 3211-12 et L. 3211-12-1 du Code de la santé publique, qui prévoient les cas de contrôle du juge des libertés et de la détention en matière de soins sans consentement.
L’article L. 3211-12 du CSP a ainsi été modifié afin de prévoir, d’une part, que le juge des libertés et de la détention peut être saisi aux fins de mainlevée de ces mesures lorsqu’elles ont été renouvelées au-delà de vingt-quatre heures, s’agissant de la mesure de contention, et de quarante-huit heures, s’agissant de la mesure d’isolement.
Cette saisine est largement ouverte : elle peut être formée par l’ensemble des personnes habilitées à saisir ce juge aux fins de mainlevée d’une mesure de soins sans consentement, à savoir :
- la personne faisant l’objet des soins,
- les titulaires de l’autorité parentale ou le tuteur si la personne est mineure,
- le conjoint, le concubin ou la personne avec laquelle elle est liée par un PACS,
- la personne qui a formulé la demande de soins,
- un parent ou une personne susceptible d’agir dans l’intérêt de la personne dès lorsqu’ils sont identifiés
- ainsi que le procureur de la République.
D’autre part, il est prévu à l’article L. 3211-12 du même code que le juge des libertés et de la détention peut se saisir d’office à tout moment aux fins de mainlevée des mesures d’isolement ou de contention.
Cette saisine d’office peut ainsi intervenir dans le cadre d’une demande de mainlevée de la mesure de soins sans consentement ou en dehors de ce cadre procédural.
Dans tous les cas, le juge des libertés et de la détention doit statuer dans un délai de vingt-quatre heures.
L’article L. 3211-12-1 a également été modifié afin de prévoir que lorsque le juge des libertés et de la détention est saisi d’une demande de prolongation de la mesure d’hospitalisation complète, il statue également, le cas échéant, y compris d’office, sur la mesure d’isolement ou de contention.
S’agissant de la procédure applicable, lorsque le juge des libertés et de la détention est saisi aux fins de mainlevée de ces mesures ou se saisit d’office aux fins d’examen de celles-ci, les articles L. 3211-12-2 et L. 3211-12-4 du CSP (qui prévoient la procédure applicable en appel) ont été modifiés afin de prévoir qu’il statue en principe selon une procédure écrite, sans audience, et ce compte tenu de la durée très courte des mesures et des brefs délais dans lesquels il doit statuer.
Le patient ou le demandeur peut néanmoins demander à être entendu par le juge des libertés et de la détention, auquel cas cette audition est de droit. Cette audition peut sous certaines conditions être réalisée grâce à un moyen de télécommunication audiovisuelle. Si des motifs médicaux font obstacle, dans son intérêt, à l’audition du patient, celui-ci est représenté par un avocat. Le juge des libertés et de la détention peut toujours décider, par exception, de tenir une audience s’il l’estime nécessaire.
Ces nouvelles dispositions sont applicables depuis le 1e janvier 2021.