Chambre d’isolement : outil thérapeutique ou torture psychologique ?
L’isolement est encore considéré par nombre de psychiatres comme un « outil thérapeutique », et il est largement pratiqué dans quasiment tous les hôpitaux psychiatriques de France.
D’autres, psychiatres et patients, décrivent cette pratique comme une torture psychologique.
D’autres encore, comme Stephan Zweig, un des plus grands écrivains du XXème siècle, l’ont décrit avec un talent particulier.
Dans son ouvrage, « Le Joueur d’échecs » * écrit en 1941 peu avant sa mort, il fait décrire à son héros l’isolement total que ses geôliers lui ont fait subir en tant que moyen de torture psychologique. Il ne s’agissait pas d’un hôpital psychiatrique. Cet ouvrage est bien sûr une fiction, et toute ressemblance …
« Une chambre d’hôtel rien que pour soi … cela semble très humain, n’est-ce pas ? Mais croyez-moi, ce n’était pas par humanité, mais par un raffinement dans la méthode que les « notabilités » comme nous, au lieu d’être entassés à vingt dans un baraquement glacial, furent installés dans une chambre particulière et passablement chauffée. Plus subtilement que par des coups ou des tortures physiques, on pensait nous soutirer les « renseignements » utiles par une technique retorse au possible : l’isolement total. On ne nous faisait aucun mal ; simplement on nous plongeait dans le néant absolu. Car, c’est bien connu, rien sur terre n’oppresse autant l’âme humaine que le néant. En nous enfermant, chacun pour soi, dans une chambre hermétiquement coupée du monde, on comptait faire pression sur nous non pas de l’extérieur, par les coups et le froid, mais de l’intérieur, pour nous amener à parler. A première vue, la chambre qui m’était échue n’avait rien d’inconfortable. Elle avait une porte, un lit, un fauteuil, un lavabo, une fenêtre grillagée. Mais la porte restait fermée jour et nuit, la table ne supportait ni livre, ni journal, ni papier, ni crayon, la fenêtre donnait sur un mur coupe-feu ; c’était le vide total autour de moi, et même sur moi. On m’avait pris tous mes objets personnels, ma montre pour que je ne sache pas l’heure, mon crayon pour m’empêcher d’écrire si l’envie m’en prenait, mon canif pour m’empêcher de m’ouvrir les veines ; impossible de m’étourdir ne serait-ce qu’en fumant une cigarette. A part le gardien qui avait consigne de ne pas dire mot, de ne pas répondre à la moindre question, jamais je ne voyais de visage humain, jamais je n’entendais de voix humaine ; l’œil, l’oreille, les sens dans leur ensemble ne recevaient aucun aliment du matin jusqu’au soir et du soir jusqu’au matin, on restait irrémédiablement en face à face avec soi-même, son propre corps et ces quatre ou cinq objets sans parole, table, lit, fenêtre, lavabo ; on vivait comme un plongeur sous sa cloche de verre dans le noir océan de ce silence, un plongeur entrevoyant déjà que la corde le rattachant au monde est cassée et qu’il ne remontera plus de ces profondeurs muettes. Rien à faire, rien à entendre, rien à voir, partout et perpétuellement le néant, le vide total, l’absence d’espace et de durée. On marchait de long en large, les pensées elles aussi marchaient de long en large, de large en long, sans discontinuer. Mais les pensées, si immatérielles qu’elles paraissent, ont-elles-mêmes besoin d’un support, sans quoi elles commencent à se mordre la queue et à tourner en rond ; elles non plus ne supportent pas le néant. Du matin au soir, on attendait quelque chose, et il n’arrivait rien. On attendait encore et encore. Il n’arrivait rien. On attendait, on attendait, on attendait et l’on pensait, pensait, pensait jusqu’à en avoir les tempes douloureuses. Rien. On restait seul. Seul. Seul ». (…)
*Edition GF Flammarion 2013, traduction par Diane Meur