Psychiatrie et industrie pharmaceutique : des liens (financiers) « trop intimes » ?
Le Dr James Davies* connaît parfaitement l’histoire de la psychiatrie. Depuis plusieurs années il enquête sur les liens étroits et peu connus entre la psychiatrie et les laboratoires pharmaceutiques.
Lors d’une conférence intitulée « Psychiatry and Big Pharma Exposed », il révélait, exemples et preuves à l’appui, des pratiques n’ayant strictement rien à voir avec l’éthique ou la morale.
La 1ère partie de la conférence traite de la véritable histoire du DSM, le Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles mentaux, publié par l’Association Américaine de Psychiatrie (APA).
Comment et pourquoi, à chaque nouvelle édition de cet ouvrage, apparaissent de nouveaux (et improbables) troubles psychiatriques tels le « trouble orgasmique féminin » (sic) ou le « trouble oppositionnel avec provocation » ?
Dans quelles conditions invraisemblables sont discutées et votées à main levée par un comité restreint d’une dizaine de psychiatres, en l’absence de toute rigueur scientifique, l’existence et les symptômes de ces nouvelles « maladies » ? Archives, témoignages et rencontres avec les psychiatres concernés.
Comment, en abaissant le seuil de diagnostic des troubles mentaux, des millions de personnes se retrouvent étiquetées et médicalisées abusivement ?
Comment la psychiatrie parvient graduellement à médicaliser les souffrances, émotions, réactions et expériences douloureuses de la vie ordinaire en les renommant pour en faire des soi-disant troubles psychiatriques nécessitant une consultation et des « soins » (médicaments) ? A qui cela profite-t-il ?
Comment et pourquoi la psychiatrie est-elle tombée en quelques décennies sous la domination du modèle biomédical ?
La 2ème partie de la conférence montre par l’exemple comment fonctionnent le marketing direct et le marketing indirect de l’industrie pharmaceutique
Exemple de marketing direct : un nouveau trouble soi-disant psychiatrique a fait son apparition dans la 4ème édition du DSM, le « Trouble dysphorique prémenstruel » (mal-être, fatigue, tristesse, irritabilité avant l’arrivée des règles). Une publicité télévisée d’Eli Lilly montre une femme, peu avant ses règles, stressée dans un supermarché, et présente son remède miracle : le Serafem. Mais ce qu’Eli Lilly avait caché aux centaines de milliers de femmes qui avaient consommé le Serafem est qu’elles avaient consommé en fait du Prozac, soigneusement présenté sous un nouveau conditionnement.
Exemples de marketing indirect : inventer et promouvoir une maladie pour vendre le remède, selon la formule : toujours plus de « troubles psychiatriques » répertoriés = plus de prescriptions de psychotropes = plus de ventes.
56 % des personnes impliquées dans l’élaboration du DSM 4 avaient un ou plusieurs liens financiers avec l’industrie pharmaceutique. Et 21 des 29 membres du groupe de travail qui a élaboré le DSM 5 (dont le président et le vice-président), avaient des liens financiers avec l’industrie pharmaceutique.
En Grande-Bretagne, un questionnaire censé estimer le degré d’anxiété des patients, place la barre très bas pour déterminer le niveau de dépression ou d’anxiété nécessitant un antidépresseur. 90 % des patients ayant rempli ce questionnaire se sont vu prescrire un antidépresseur. Ce questionnaire distribué à des millions d’exemplaires dans le système de santé britannique a été élaboré et sa distribution a été financée à 100 % par … Pfizer (qui commercialise 2 des antidépresseurs les plus vendus en GB).
Le DSM 5 était toujours n° 1 des ventes aux USA 6 mois après sa publication. Pourquoi ? Une grande majorité de ces ventes n’étaient pas des ventes individuelles mais des ventes en bloc de milliers d’exemplaires distribués ensuite gratuitement aux praticiens.
La conférence se termine par plusieurs études de cas : par exemple, le lancement en mai 2000 d’un nouveau médicament antipsychotique « miracle » promu avec enthousiasme par un éminent psychiatre lors de la réunion annuelle de l’Association Psychiatrique Américaine (APA) et auprès des médias nationaux. Il s’agissait d’une percée spectaculaire dans la recherche sur ce type de médicaments surpassant largement la concurrence. Or, des études plus poussées que les précédentes avaient révélé, juste 2 mois avant cette annonce fracassante, que ce médicament était très loin d’avoir l’efficacité annoncée.
Ce qu’a alors décidé de faire la direction de ce célèbre groupe pharmaceutique (AstraZeneca), en accord avec ce psychiatre, … est expliqué par le Dr Davies, documents à l’appui.
Cette conférence est un exposé clair, documenté, percutant et factuel. Elle est en anglais sur Youtube avec possibilité de sous-titrage automatique en français : https://www.youtube.com/watch?v=-Nd40Uy6tbQ
*Le Dr James Davies est Docteur en anthropologie sociale et médicale (Université d’Oxford 2006). Il est l’auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la psychiatrie (The Times, The New Scientist, The Guardian, The Daily Mail), et a donné de nombreuses conférences sur le sujet, notamment à l’université de Harvard, UCL, Columbia (New York), The New School (New York), Oxford, etc. Il est également psychothérapeute.