Témoignage de Virginie, hospitalisée de force
Virginie, 30 ans, artiste, danseuse, chorégraphe
Ce texte concerne l’internement que j’ai subi à l’hôpital psychiatrique du Vinatier à Lyon en avril 2020.
Cette nuit-là, je n’arrive toujours pas à dormir, plus j’essaie, plus j’angoisse, plus les écarts entre le calme et l’agitation se font sentir. Au bout d’un moment, mon amie me dit qu’elle n’en peut plus et qu’elle va appeler un médecin. Elle me demande mon autorisation. Je ne comprends pas ce que je peux faire, ce que je dois faire, mis à part dormir. Alors j’essaie de toutes mes forces de calmer mes angoisses et de m’endormir. Mon amie me dit qu’elle va appeler SOS médecin, parce qu’elle n’en peut plus, qu’elle ne sait plus quoi faire et qu’elle est fatiguée. Je la comprends. Je finis par accepter l’aide d’un médecin. J’ai l’espoir que ce médecin soit Monsieur M. ou alors que le médecin qui viendrait me rassure, me donne un médicament pour dormir et que je pourrais dormir.
Mais dans la réalité, un médecin arrive entouré de 10 policiers. Je me sens agressée, vulnérable et en insécurité. Je leur demande « mais pourquoi êtes-vous si nombreux, pourquoi êtes-vous ici ? » Je suis impressionnée. Ils me répondent d’un ton sec et robotique « c’est la procédure madame ». Je ne comprends pas. Alors que j’ai besoin d’aide, on vient m’agresser de la sorte ?
Je sens bien que je ne peux plus changer d’avis et qu’ils vont maintenant me forcer à les suivre. Je fais comme si de rien n’était. Je me mets en mode survie. Quand nous descendons les escaliers, il y a un policier devant moi, et tous les autres derrière. Arrivée en bas de l’immeuble j’enlève mes tongs et je cours le plus vite possible. Je veux vivre. Je ne veux pas qu’ils m’enferment. Je ne comprends pas pourquoi ils sont là. Je ne sais pas ce qu’ils vont me faire.
Bien sûr, ils me rattrapent assez vite. Je me défends, je me bats pour ma vie. Je sens une telle force, une telle rage, une telle puissance en moi…
Ils me sanglent et m’emmènent en ambulance jusqu’à l’hôpital de Grange blanche puis à l’hôpital psychiatrique le Vinatier. Je me suis calmée, ils me « relâchent». Mais arrivée au Vinatier, j’essaie de m’enfuir à nouveau et de nouveau ils me rattrapent. Ils sont violents, ces hommes. Ils me sanglent sur un lit, et me mettent en cellule d’isolement.
Durant ce temps en chambre d’isolement, je médite. Ensuite ils viennent autour de moi, et me demandent mon nom. Je mets un temps avant de répondre. Je réponds mon nom. Ils me demandent ma date de naissance. Je leur réponds. Ils me demandent à plusieurs reprises si j’ai pris des drogues, si j’ai fumé. Je réponds « non » à chaque fois. J’ai la sensation qu’ils ne veulent pas me croire, car ils me le demandent de nombreuses fois. Ils me disent : “Pourquoi êtes-vous ici?” Je réponds : ”Parce que je suis tombée amoureuse”. Ils rigolent et me disent : « Madame, on ne finit pas à l’hôpital psychiatrique lorsqu’on tombe amoureuse ». Je leur réponds « et pourquoi pas ? ». La version romantique de l’histoire s’arrêterait là, mais j’ajoute : “Non, c’est aussi parce que j’ai été violée quand j’étais petite”.
Je sais qu’ils ne comprendront rien et que, quoi que je dise, ils ne me croiront pas. Non pas qu’ils soient malveillants, je pense que chaque personne fait de son mieux. Ils n’ont pas assez d’expérience de vie pour me comprendre, pour me croire et pour réellement m’aider. Ils se sentent supérieurs à moi. Ils ne me regardent pas comme une personne humaine qui a traversé des expériences de vie difficiles, mais comme une malade ou une folle. J’adapte alors mon comportement à la situation, comme pour me sauver du cauchemar. Comme si je savais exactement ce qu’il fallait dire, et ce qu’il fallait faire, pour sortir le plus rapidement de cette situation. Ils me laissent à nouveau seule, sanglée dans cette pièce insalubre.
Au bout d’un certain temps, je ne saurais pas dire combien de temps, un homme entre et me demande de prendre une pilule. Je demande calmement si je suis obligée de la prendre, car je me sens beaucoup mieux. Il me dit que si je refuse, il me fait une piqûre, une injection de force. Alors, je n’ai donc plus de libre arbitre ? Une fois de plus, on me force. Je prends la pilule.
Au milieu de la nuit, je suis réveillée par des médecins, je dirais qu’ils sont quatre, qui me demandent mon nom, mon prénom, si j’ai pris des drogues, etc. Les mêmes questions qu’ils m’ont déjà posées au moins 5 fois. Nous sommes au milieu de la nuit. Ils viennent a priori de me changer d’hôpital. Je ne sais pas combien de temps je suis restée sanglée, complètement inconsciente, dans cet hôpital, dans cette pièce. J’aurais très bien pu être violée, abusée, ou quoi que ce soit d’autre, je n’en ai plus aucun souvenir. Ce médicament, me rend complètement inconsciente.
Et me faire réveiller, par le même corps soignant qui m’a endormi quelques heures plus tôt, de devoir répéter les mêmes mots à chaque fois, je crois qu’à ce moment-là, je les envoie balader. Ils ont voulu que je dorme, qu’ils me laissent donc dormir !
Je ne sais pas combien d’heures j’ai dormi, mais quand je me réveille je me sens bien. Je comprends que le sommeil profond est important et réparateur pour la psyché, et que, comme je l’avais senti, c’est bien la seule chose dont j’ai besoin. A ce moment-là, peu importe où je me trouve, peu importe ce que la vie me fait vivre, je me sens bien. Je me sens calme et en paix, libre d’être moi, libre de vivre les expériences qui se présentent à moi.
Je pense après coup, que j’ai vécu cela pour pouvoir voir l’incompétence de ce système. Peut-être pour que je puisse dénoncer les incohérences que j’ai pu voir, moi, internée bien que saine d’esprit dans cette machine à abrutir les êtres.
Je suis la seule à avoir très peu de médicaments à prendre, certains sont là depuis plus de 2 ans, certains depuis plus longtemps encore. Ils sont devenus presque des légumes, complètement abrutis par les médicaments. À l’heure du repas, les médecins nous appellent en nous disant que c’est l’heure du traitement. Ce n’est même plus l’heure de manger, c’est l’heure du traitement. Le matin il y a un premier chariot qui passe avec les médicaments dont des calmants, et juste derrière celui-ci, un autre chariot passe avec le café. Je médite après avoir bu du café et observe ses effets sur mon corps. C’est une incohérence totale de prendre un médicament pour se calmer et de boire du café juste après. Le soir, des médicaments nous sont distribués pour dormir. Pendant la nuit, les infirmiers entrent violemment dans les chambres plusieurs fois sans frapper pour vérifier que l’on respire. Je suis restée 8 jours dans cet hôpital.
Au cours de ces 8 jours j’ai vu un psychiatre une première fois 30 minutes, j’ai pu discuter et parler de mes problèmes 15 minutes, les 15 autres minutes ont servi à me vanter les bienfaits d’un traitement que je ne voulais pas prendre. Alors que j’ai été catégorique à ce sujet, ils ont essayé de me convaincre, de me faire changer d’avis. A chaque fois que je voulais parler avec un médecin pour essayer de comprendre la source de mon problème, on me disait de prendre un médicament pour calmer les symptômes. On ne m’écoutait même pas, à vrai dire. Avant de sortir, j’ai revu la psychiatre 10 minutes.
J’ai beaucoup discuté avec les patients, et c’est eux qui m’ont le plus apporté. Échanger avec eux, partager mon expérience et écouter la leur, échanger nos points de vue.
Cela était très enrichissant. J’ai vu énormément d’artistes, de personnes qui ont grandi dans des familles défaillantes, des personnes éveillées spirituellement, des personnes en souffrance, des personnes qui comme moi s’étaient faites violées mais qui n’osaient pas en parler, même pas au médecin, se croyant folles ou anormales. J’ai vu des personnes qui n’osaient même plus rire ou pleurer, de peur qu’on augmente la dose de leurs médicaments. J’ai vu une personne diabétique prendre un traitement dont les effets secondaires causaient le diabète. J’ai vu des personnes prendre des médicaments pour contrer les effets secondaires des autres médicaments. J’ai vu des personnes qui sont entrées dans ce cercle vicieux et qui auront beaucoup de mal à en sortir. J’ai vu un personnel soignant persuadé de faire le bien, mais complètement fermé d’esprit. J’ai vu un système défaillant, où l’on n’a pas le temps d’être bienveillant, de s’occuper des personnes et de les considérer à leur juste valeur humaine. J’ai vu des personnes considérées comme des moins-que-rien, avec qui on adopte une attitude supérieure et une voix condescendante. J’ai vu des personnes dénuées de toute estime d’elles-mêmes. Privées de leurs effets personnels, enfermées, infantilisées, maltraitées. J’ai pu vivre cette expérience en toute sérénité. Je n’étais là que pour observer.
Ils pensent qu’ils ont raison et ils sont persuadés que ce qu’ils font est bien. Pour ma part je dirais que cette médecine psychiatrique est totalement incomplète et défaillante.
Lorsque j’étais là-bas, j’ai douté, je me suis vraiment demandé si j’étais folle. Je ne comprenais pas ce qui se passait. Je sentais bien que les médecins étaient fascinés par mon histoire. Je sentais bien, qu’ils étaient quelque peu démunis face à mon discours, mais qu’il fallait qu’ils me fassent entrer dans une case car c’est ainsi.
Ils ont voulu me donner un traitement qui m’aurait empêché d’avoir des « hallucinations » comme ils disent. J’ai vraiment hésité, car je ne voulais pas causer du tort autour de moi et de l’inquiétude à mes proches. Alors que je me sentais bien, j’étais obligée de me poser des questions, puisque tout le monde autour de moi avait peur pour moi, et me faisait comprendre que je n’étais pas normale.
A un moment donné, un ami débarque dans l’hôpital psychiatrique du Vinatier, il a une forte personnalité.
Il a carrément demandé qu’on lui imprime noir sur blanc la liste des effets secondaires des médicaments. Nous lisons ensemble tous ces effets. J’en reconnais certains sur ma voisine de chambre et je me dis que jamais je ne prendrai ça.
Je suis restée en pyjama pendant plusieurs jours. Lors de mon entrée à l’hôpital, ils ont fouillé mon sac et mes affaires. Ils m’ont demandé de vider mon sac devant eux, poche après poche. Ils m’ont pris tous mes objets de valeur, téléphone, carte identité etc.
Ils m’ont forcé à répondre à ma mère au téléphone car elle appelait tous les jours, alors que je leur avais expliqué ma situation familiale et que je ne voulais pas lui parler. Une fois de plus, ils n’ont pas respecté mon choix.
Suite à ma sortie de l’hôpital, j’ai accepté le suivi proposé par l’équipe psychiatrique, afin de me sentir rassurée et épaulée tout en précisant bien que je ne prendrai jamais leurs médicaments. J’avais seulement besoin d’un suivi psychologique et d’un soutien après l’épreuve que je venais de traverser. Seulement lorsque que j’étais en entretien, elles étaient deux face à moi et m’écoutaient à peine. Très rapidement elles me proposaient de prendre un traitement et insistaient. Je suis allée plusieurs fois aux rendez-vous mais cela se passait toujours de la même manière. Mon « NON » concernant le traitement, n’était pas pris en compte. La seule chose qui les intéressait était de me faire prendre leurs médocs.
Cela me fatiguait beaucoup de faire les déplacements et d’avoir encore besoin de me justifier auprès d’eux, comme si je n’étais pas capable de savoir ce qui était bon pour moi. C’est très infantilisant et déroutant.
J’ai dû me protéger, je ne pouvais pas me montrer vulnérable sans que l’on me colle une étiquette de malade. Je ne pouvais pas être « humaine », vivre des émotions sans que l’on me préconise d’avaler un traitement. Cela m’a énormément impactée et fait du mal. Depuis je fais difficilement confiance aux médecins.
Après avoir constaté que cela me fatiguait plus que cela me faisait du bien, j’ai donc décidé d’arrêter de les voir. Il a fallu beaucoup de temps, et d’aplomb de ma part pour qu’ils décident d’arrêter de m’appeler. J’avais des appels plusieurs fois par jour. Ils m’ont vraiment harcelée pendant plusieurs semaines et mois. J’ai dû me montrer intransigeante et dure, chose que je n’aime pas faire, pour être enfin écoutée, comprise et entendue.
Aujourd’hui je n’ai pas de traitement, je vis très bien. J’ai emménagé proche de la nature et me suis rapprochée de personnes éveillées. Je n’ai plus aucun contact avec cet hôpital.
Je souhaiterais ne plus avoir à penser à eux et ne plus avoir la crainte d’y retourner. J’aimerais me libérer de la souffrance créée par leurs médisances, leurs négligences et leurs présages à mon égard, car pour mieux me « vendre » leurs médicaments, ils m’ont prédit une rechute deux ans après. Depuis j’ai peur que cela se reproduise. Les deux ans ne se sont pas encore écoulés mais depuis, j’ai peur de revivre ça. Ils m’ont fait perdre confiance en moi et ont tenté de me rendre dépendant d’eux.
J’ai pris le temps de partager mon ressenti et ma vision, d’une part pour me soulager et d’autre part pour aider ceux qui pourraient avoir été dans le même cas que moi. Je souhaite aussi que les choses s’améliorent et que la maltraitance s’arrête. Je suis fière d’avoir pu écrire ces lignes et je vous remercie de m’avoir lu. Merci à l’association CCDH de m’en avoir donné l’opportunité.