Témoignage d’une maman en dépression post-partum internée abusivement en psychiatrie
En mai 1996, je suis hospitalisée au sein du service de Médecine Générale à l’Hôpital de Saint Germain en Laye à la suite d’une overdose médicamenteuse. J’ai déjà été hospitalisée plusieurs fois pour le même motif, la première fois ayant eu lieu en novembre 1995.
A cette époque, je suis épuisée. Je m’occupe seule de mes deux enfants, le papa étant très occupé professionnellement, y compris le week-end. Mon second fils a un peu plus de deux ans. Ma grossesse a été compliquée, hyper-tension dès le premier mois. L’accouchement a été provoqué un mois avant le terme et mon retour à la maison, seule, avec mes deux fils fut très compliqué.
Aujourd’hui, je pense que l’on m’aurait très vite diagnostiqué un burn-out maternel mais dans les années 90, les psychiatres, que l’on fait consulter pendant ces hospitalisations, ont à peine évoqué une dépression post partum. Il est vrai que je cache cette immense fatigue, ce sentiment de ne plus y arriver, à mon entourage. Je n’ai pas le droit, je culpabilise de ne pas réussir à être pleinement heureuse de la naissance de ce petit Dorian, dont j’ai tellement rêvé, que j’ai tellement voulu. Dorian, le petit frère de Florent que j’ai tellement désiré également, mes deux fils adorés. Je n’ai pas le droit de ne pas me sentir une mère comblée.
Je me réveille donc une fois de plus dans un service de médecine. Une infirmière vient me voir pour me proposer une hospitalisation dans le service psychiatrique, situé dans l’hôpital de Saint Germain. Nous sommes un vendredi en fin de matinée, ma mère doit venir me voir dans l’après-midi. Service psychiatrique, cela m’effraie un peu. J’explique à cette soignante que je suis très fatiguée mais je ne me sens pas folle. Elle me répond que justement dans ce service il me sera plus facile de me reposer et que rien ne changera concernant les visites. Ma famille va pouvoir continuer à venir me voir comme maintenant. On me transfère donc en début d’après-midi dans ce service et ma mère passe la fin de journée avec moi.
Elle a été surprise de me retrouver en psychiatrie. Tout comme moi, ce mot lui fait peur. Alors comme l’a fait l’infirmière avec moi, je la rassure en lui disant que ce service m’est mieux adapté pour me reposer et qu’elle va pouvoir continuer à me rendre visite comme avant. Du reste ma chambre est agréable. Ce qui nous surprend cependant, elle et moi, est que les portes doivent toujours rester ouvertes, limitant ainsi l’intimité, le calme et donc le repos que l’on m’avait portant vanté.
D’ailleurs, je remarque les allers retours continuels dans le couloir d’un jeune patient qui à chaque fois s’attarde devant ma porte de chambre. Dès le départ de ma mère, ce jeune homme entre dans ma chambre. Il s’assoit sur mon lit et me dit : « tu as l’air gentille, toi, tu souris. Ici, ils sont tous méchants ». Il me prend la main. Il est très jeune, tout juste majeur et je ressens dans ses quelques mots toute sa détresse, tout son mal être. Je me positionne en maman et je lui caresse la main pour le réconforter. Il me propose d’aller faire quelques pas avec lui dans le couloir. Je ne suis pas plus enchantée que cela par cette proposition mais je l’accompagne quand même. Il m’emmène dans la salle commune et là me demande s’il peut m’embrasser. Je comprends qu’il souhaite me faire une bise et j’accepte en rigolant. Mais pas du tout, il m’embrasse sur la bouche, je le repousse en lui disant : NON. Je lui précise que ce baiser est impossible, j’ai le double de son âge, un compagnon et surtout que je suis une maman.
Je pars et dans le couloir je suis interpellée par une infirmière qui me dit de ne pas « trainer » avec les autres patients. Ce à quoi je réponds que si les portes de chambre pouvaient être fermées, il serait plus simple de garder de l’intimité et de ne pas être dérangée par les autres patients. J’obtiens comme seule réponse : « Non, les portes doivent restées ouvertes ! »
Moins d’une demi-heure après cet incident, le jeune garçon revient dans ma chambre, s’excuse vaguement et me redemande d’aller me promener avec lui. Je comprends qu’il va m’être difficile de me « débarrasser » de lui. Il semble avoir jeté son dévolu sur moi et est très envahissant. Et là, bien évidemment, malgré les portes ouvertes, aucun personnel soignant pour le ramener dans sa chambre ! Je ne veux pas non plus être « méchante » avec lui, il me parait tellement « perdu ».
J’accepte à nouveau de faire quelques pas avec lui, pensant qu’ainsi il va me laisser tranquille après car j’ai vraiment besoin de me reposer. Il m’attire à nouveau dans la salle commune mais là m’entraine dans un petit coin sombre, il me plaque contre le mur de cette petite cuisine, ses forces sont décuplées, il colle sa bouche contre la mienne …
La suite, je ne sais plus. Combien de temps cela a duré, je ne me souviens pas. Que s’est-il vraiment passé ? Mon seul souvenir de cette soirée, c’est ces deux infirmiers, un homme et une femme, qui me passent un savon : « Mais enfin, on vous avait prévenu de ne pas trainer avec lui ! Et à votre âge quand même ! Et vous êtes maman !!! »
Je ne sais pas comment j’ai regagné ma chambre, comment j’ai dormi. Je me souviens juste de mon réveil le lendemain, le samedi matin, de cette infirmière qui entre en me disant que j’ai beaucoup de chance car une place vient de se libérer et l’on me transfère dans la matinée à l’Institut THEOPHILE ROUSSEL à Montesson.
Je connais bien cet institut, j’ai habité Montesson plus de 20 ans. Je sais donc pertinemment où l’on va me transférer et pourtant je ne réagis pas. J’ai totalement occulté la soirée de la veille. Je prépare mes affaires et il y a cet ambulancier avec lequel je discute durant le trajet entre Saint Germain et Montesson. Je me souviens de son étonnement et de sa phrase : « Mais vous savez où je vous emmène là ? »
Je me vois encore lui répondre avec un large sourire : « Oui bien sûr ! Je connais bien Théophile Roussel, j’ai habité Montesson toute mon enfance et mon adolescence. Je suis très fatiguée actuellement et là-bas on m’a dit que j’allais pouvoir me reposer ! »
Je crois même qu’il a ajouté : « On peut encore faire demi-tour, si vous le souhaitez ». Et j’ai dû répondre, NON.
Après, il y a cette immense grille, devant laquelle je suis si souvent passée en me moquant de tous ces gogols qui se trouvaient derrière. Je ne réalise même pas que c’est moi, aujourd’hui, qui franchit cette grille. Les quelques marches en béton, une première porte, puis cette seconde porte, capitonnée, qu’un infirmier ouvre de l’intérieur. Le bruit des clés dans la serrure et cette vieille femme en chemise de nuit qui m’apparait et qui se met à hurler en tapant des mains et des pieds en me voyant. Je crois que je viens de comprendre où je suis. L’infirmier referme la porte.
On me conduit à ma chambre, on fouille toutes mes affaires, on me confisque les objets considérés dangereux : trousse manucure, sèche-cheveux, … Puis on me précise que je suis à l’isolement, c’est-à-dire que je dois rester trois jours en pyjama et que je ne peux avoir aucun contact avec l’extérieur pendant une semaine.
Mais mes parents et mes enfants devaient venir me voir aujourd’hui. On me répond : pas de visite, pas de téléphone. On va prévenir ma famille que je suis à Théophile Roussel et qu’ils ne peuvent pas venir me voir. Le sol s’effondre sous mes pieds mais j’accepte, j’accepte parce que je me sens coupable, coupable d’avoir pris trop de médicaments, coupable d’être trop fatiguée, coupable de ne pas réussir à m’occuper de mes enfants. Je dois payer maintenant.
Je vais mettre près de vingt ans à sortir de cette dépression. Mon couple va bien évidemment exploser quelques années après et le père de mes enfants restera persuadé que je suis schizophrène. Ce n’est certainement pas cet internement qui va m’aider, et dont je vais « m’échapper », une première fois, en signant une décharge parce que je viens d’apprendre le décès de ma grand-mère. Je veux pouvoir lui dire au revoir et être présente à son enterrement. Malheureusement, complètement déstabilisée par cette expérience, je vais y retourner, en HDT (hospitalisation à la demande d’un tiers) cette fois, du 25 juin au 25 juillet 1996.
J’ai tu cette partie de ma vie jusqu’à récemment. J’avais honte de ce qui m’était arrivé. Honte d’avoir peut-être été trop gentille avec ce jeune homme. Honte de n’avoir pas su dire NON assez fort. C’est en la racontant pour la première fois à mon mari que j’ai compris pourquoi j’ai « atterri » ce samedi de mai 1996 en hôpital psychiatrique. C’est lui qui de suite s’est écrié : « mais on a simplement voulu te faire taire afin de t’empêcher de dire ce que tu avais subi ce vendredi soir. »
Alors oui, je pense aujourd’hui avoir été victime d’un internement abusif. Internement, qui tout d’abord ne m’a pas permis d’être la maman que je rêvais d’être. Internement, qui m’a ensuite conduit à des années d’instabilité sentimentale et professionnelle car je ne savais plus qui j’étais vraiment, où cette jeune femme qui avait vécu, seule, au côté de la démence pendant ces longues semaines d’internement.