La Contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot, vient de remettre au Président de la République, au Gouvernement et au Parlement son rapport annuel d’activité ce 11 mai 2023
Elle exhorte le Gouvernement à réformer le statut des mineurs hospitalisés en psychiatrie et celui des unités de soins intensifs en psychiatrie.
Voici les propos de la Contrôleuse :
Inertie de l’Etat français
- « C’est assez navrant, mais l’inertie est un mur auquel se heurtent les alertes incessantes du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), sur l’état déplorable des lieux qu’il visite, prisons, hôpitaux psychiatriques, centres de rétention administrative (CRA), locaux de garde à vue, centres éducatifs fermés pour enfants (CEF). Certes, il y a bien quelques progrès. Mais trop peu. L’État semble endormi. »
Des mineurs abusés en psychiatrie
- « Il arrive, dans certains services psychiatriques, que le CGLPL découvre des gamins mélangés aux adultes, avec tous les périls qui peuvent en découler. D’autres, placés à l’isolement ou sous contention, c’est-à-dire, attachés par des sangles à un lit ou à une chaise, parfois sans possibilité d’appeler à l’aide. Quant aux autistes, faute d’institutions spécialisées, il est fréquent de les rencontrer, confinés, des années, en psychiatrie, où ils n’ont rien à faire. »
Liberté d’aller et venir bafouée
- « La liberté d’aller et venir, et les restrictions imposées dans la vie courante, est très variable selon les lieux. Un lien encore trop systématique est fait entre le statut d’admission des patients et leur hébergement en unité fermée : les soins sans consentement n’imposent en aucune manière d’héberger qui que ce soit dans des locaux fermés. L’inverse n’est cependant pas vrai : les patients en soins libres doivent être exclusivement affectés dans des services ouverts. »
Isolement et contention
- « Le recours à l’isolement et à la contention demeure l’objet de pratiques encore très diverses. Certains des établissements visités se sont résolument engagés dans la voie de la réduction en développant l’analyses des statistiques et même parfois au-delà, en effectuant des analyses des pratiques, en réduisant le nombre des chambres d’isolement, en appliquant avec rigueur la notion de « dernier recours » et en développant la prévention de la crise ou de la violence. Des politiques de réduction de l’isolement et de la contention se développent, certes, mais ne concernent pas encore la majorité des établissements visités : les uns semblent ne pas s’en préoccuper, d’autres ne les mettent en œuvre qu’en apparence et d’autres enfin les appliquent avec détermination mais sans effet. »
Des patients en soins libres et des enfants placés à l’isolement ou en contention, sans aucuns droits ni voies de recours
- « Le contrôle juridictionnel de l’isolement et de la contention est désormais imposé par l’article L.3222-5-1 du code de la santé publique (CSP). Le CGLPL constate néanmoins que de trop nombreux patients en soins libres, dont des enfants, font encore l’objet de placements à l’isolement ou sous contention, pour des durées significatives, sans contrôle systématique par un juge des libertés et de la détention (JLD) dès lors que son intervention est prévue uniquement dans le cadre des soins sans consentement. Saisi d’une mesure d’isolement d’un patient resté en soins libres, un JLD ne pourrait que constater son illégalité. On ne saurait sérieusement soutenir qu’un patient puisse être regardé comme simultanément « libre » et « enfermé, voire attaché sur un lit ». Dans ce type de situation, il revient aux autorités en charge des établissements de santé mentale de changer si nécessaire le statut d’hospitalisation du patient afin qu’il bénéficie des garanties attachées à la contrainte, étant rappelé que le changement du régime d’hospitalisation d’un patient ne peut être motivé que par son état clinique et ne saurait être mobilisé pour contourner une impossibilité juridique de recours à des mesures privatives de liberté. »
Les mineurs en psychiatrie ont moins de droits et garanties que les majeurs en soins sans consentement
- « Concernant les mineurs, « ils sont hospitalisés avec des adultes, ils ne sont pas dans un environnement prévu pour eux, ce qui les prive d’activités adaptées à leur âge, ils n’ont souvent aucun accès à la scolarité pendant le temps de leur hospitalisation et ils ne sont pas toujours pris en charge par des professionnels de la pédopsychiatrie. Le statut des enfants hospitalisés en psychiatrie est paradoxalement le moins protecteur : il n’existe pas de soins à la demande des tiers au motif que le tiers disposant de l’autorité parentale décide au nom de l’enfant que l’on admet donc en « soins libres ». Cette fiction juridique selon laquelle les enfants hospitalisés à la demande de leurs parents sont nécessairement en soins libres revient à les priver de toute protection au motif que la volonté du titulaire de l’autorité parentale est supposée être celle de l’enfant. Le CGLPL rappelle sa demande que tout enfant hospitalisé en psychiatrie sur décision du titulaire de l’autorité parentale bénéficie de garanties comparables à celles mises en place pour les soins sans consentement. »
Voici ci-dessous les principales recommandations de la Contrôleuse concernant les établissements de santé mentale :
- Le CGLPL invite le législateur à étendre le droit de visite des bâtonniers aux établissements de santé mentale.
- La fiction juridique selon laquelle les enfants sont nécessairement hospitalisés en soins libres revient à les priver de toute protection au motif que la volonté du titulaire de l’autorité parentale est supposée être celle de l’enfant. Le CGLPL rappelle sa demande que tout enfant hospitalisé en psychiatrie sur décision du titulaire de l’autorité parentale bénéficie de garanties comparables à celles mises en place pour les soins sans consentement.
- Le CGLPL appelle donc à la remise sur pied à court terme de toutes les Commissions départementales des soins psychiatriques (CDSP) et invite le législateur à évaluer leur fonctionnement pour examiner l’opportunité d’un retour des magistrats en leur sein.
- Afin de sécuriser l’ensemble des droits des patients le CGLPL recommande que seuls des services qui sont en mesure de respecter ces droits intégralement soient habilités. Cela suppose :
- un nombre de médecins qualifiés suffisant pour respecter toutes les exigences procédurales et pas seulement les plus allégées ;
- des installations adaptées à l’accueil de patients susceptibles de séjourner en unité fermée ;
- la possibilité de mettre en œuvre des mesures d’isolement dans le respect de la loi ;
- la possibilité d’accueillir une audience du juge des libertés et de la détention dans des conditions acceptables pour les patients, leurs représentants et le juge lui-même.
- Il incombe au juge saisi d’une mesure d’isolement ou de contention de vérifier que le patient concerné était préalablement placé sous le régime des soins sans consentement. A défaut, la mesure litigieuse ne pourra qu’être invalidée. En tout état de cause, on ne saurait sérieusement soutenir qu’un patient, quel que soit le statut que l’on a choisi pour lui, puisse être regardé comme simultanément « libre » et « enfermé, voire attaché sur un lit ». La contrainte de fait doit suffire à entraîner au minimum l’application de toutes les garanties que le législateur a prévues pour la contrainte de droit.
SOURCE :
https://www.cglpl.fr/wp-content/uploads/2023/05/CGLPL_Rapport-annuel-2022_Dossier-de-presse-1.pdf
https://www.cglpl.fr/2023/publication-du-rapport-dactivite-2022/